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VI


Synthèse de la justice et de la fraternité.

Ainsi se pose, par la suite logique des idées, une dernière et importante question : Quels sont les rapports de la justice et de la fraternité ? — La recherche du vrai et scientifique principe de la fraternité humaine, par opposition aux principes mystiques des religions, fait reconnaître son identité fondamentale avec la justice même[1]. Ce précepte : « faire du bien aux hommes », qui conservait le caractère d’une sorte de grâce demandée à l’amour ou à la bonne volonté, et dont les applications demeuraient dans le vague, abandonnées à l’arbitraire de chacun, il faut le ramener à une obligation précise en son principe et déterminable en ses applications. Sans doute la justice enveloppe nécessairement l’amour, parce que toute idée d’un bien tend à se réaliser elle-même dans la mesure où elle se conçoit, et que cette tendance est un amour : il n’y a pas d’idée sans quelque désir, d’idée dilettante et purement contemplative, puisque toute idée est un mouvement vers l’objet pensé. Mais, d’autre part, l’amour comme tel n’enveloppe pas nécessairement une justice suffisante, parce que la justice est œuvre de connaissance, œuvre de science. La vraie fraternité est donc l’amour dans la justice, et, comme tout le reste, elle doit devenir scientifique par le progrès même de la science sociale. L’idée juridique d’obligations contractuelles et l’idée biologique de fonctions vitales sont l’une et l’autre susceptibles d’une définition et d’une délimitation exactes ; or la fraternité n’est qu’une conséquence de ces idées. Nous sommes frères parce que nous acceptons volontairement un même idéal en entrant dans la société et que nous nous obligeons à former une même famille ; nous sommes frères aussi parce que nous sommes naturellement membres d’un même organisme, parce que nous ne pouvons vivre ou nous développer les uns sans les autres, parce que notre moralité même est liée à l’état social et à la moralité de l’ensemble. En définitive, l’idée d’un organisme contractuel est identique à celle d’une fraternité réglée par la justice, car qui dit organisme dit fraternité, et qui dit contractuel dit juste.

  1. Voir Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1880, et Science sociale contemporaine, livre V. »