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ses amis, il ne la ressent pas, s’il y trouve quelque avantage actuel. Quiconque voudra donc bien comprendre la signification des actes d’un petit enfant, et diriger sa volonté dans un sens utile et progressif, doit être bien persuadé que toutes les tendances en apparence les plus désintéressées découlent, chez lui, de son égoïsme fortement atteint. Il apprécie surtout ses actes d’après le plaisir et la peine qui en résultent pour lui, et les actes d’autrui, soit d’après l’appréciation de ses propres actes, soit le plus souvent d’après le plaisir et la peine qu’ils lai font.

Abrégeons une étude qui s’allongerait trop aisément sous ma plume, et résumons-en les points principaux. Le sens moral n’est pas une entité abstraite. Il est formé d’éléments complexes, la plupart fournis par l’hérédité, mais qui sans doute peuvent être quelque peu développés par l’éducation individuelle. Envisagés dans l’individu, ces éléments, dont on peut découvrir les germes de très bonne heure, sont l’organisation et ses tendances diverses, l’intelligence plus ou moins active, la sensibilité plus ou moins forte et délicate, l’expérience personnelle plus ou moins favorisée par les circonstances, et s’accommodent plus ou moins consciemment aux forces qui l’entourent, aux objets inanimés, aux animaux, à la famille, à la société, grâce aux réflexions suggérées par les multiples actions et réactions de la vie. Il faut d’ailleurs se garder d’attribuer au sens moral, faculté d’apprécier les actions humaines, chez l’enfant et même chez l’adulte ; une valeur actuelle de détermination qu’il n’a pas. Ce n’est qu’un mobile plus ou moins puissant suivant les individus, les lieux, les temps, les situations. Si l’homme est loin de pouvoir ce qu’il veut, à plus forte raison est-il loin de vouloir ce dont il a l’idée, même très nette. L’éducateur, le psychologue, doivent se préoccuper bien plus des habitudes que l’enfant peut prendre, et de sa volonté, qui se développe, elle aussi, par un exercice habituel, que du développement de sa conscience morale. Celle-ci, dans la pratique, est presque toujours subordonnée à celles-là.

Bernard Perez.