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d’existence seul a changé. On conçoit, on ne constate pas l’identité substantielle.

Nous disons aussi d’une montre dont on a remplacé le ressort, que c’est toujours la même montre. Elle aurait été complètement renouvelée pièce à pièce que nous persisterions à le dire. Notre affirmation reposerait sur la conservation de la forme et la continuité de l’usage.

Mais ce n’est ni la permanence de la substance, ni la permanence de la forme qui nous fait croire que le papillon et la chenille sont un seul et même individu. Parlerons-nous de la forme ? Quel changement l’insecte n’a-t-il pas subi aussi bien dans son organisation que dans sa figure ? car ni la tête, ni les pattes, ni les nerfs, ni les muscles de la chenille ne se retrouvent chez le papillon. Et, quant à sa substance, elle a été presque tout entière enlevée au monde organique et, à part peut-être celle de l’œuf, renouvelée probablement plusieurs fois dans le cours de son existence.

Il y a plus : les modes successifs de la matière dite inerte s’excluent et se repoussent. L’eau peut se présenter à l’état solide, liquide ou gazeux ; mais, en tant que glace, elle n’est pas vapeur, et aucun de ces états n’est la cause d’un des deux autres. Chez l’être sensible, au contraire, il y a une condensation incessante de ses états successifs ; et rien de semblable ne se montre — du moins avec ce caractère et ce degré d’intensité — dans la nature inorganique. En un mot, l’histoire de la matière inintelligente n’est écrite que dans la matière intelligente et exclusivement à son usage. Le papillon contient la chenille, il est la chenille. Elle s’est incarnée en lui et lui a transmis les effets de ses joies et de ses douleurs passées. Mais combien plus encore cette transfusion serait manifeste si nous pouvions être assurés que le papillon se souvient d’avoir été la chenille et qu’il parle d’elle comme étant lui-même ! Tant la mémoire est un signe éclatant de la permanence de l’être et de la persistance en lui des états passés.

Quelle est la raison de cette permanence ? quel est le siège de cette persistance ? Questions difficiles et obscures. Certes, elles ne le sont pas, elles cessent même d’être des questions pour celui qui admet qu’il existe des substances spirituelles distinctes des substances matérielles. Il n’a plus dès lors à rechercher l’origine de propriétés qu’il affirme être de l’essence propre des âmes et qui servent à la définir. Faute de mieux, l’on peut, sans doute, et l’on doit se contenter de ce semblant de solution. Il fut un temps où l’horreur du vide, aujourd’hui mise au rebut, était reçue dans la science. Naguère encore, le principe vital, maintenant menacé du