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delbœuf. — le sommeil et les rêves

même dédain, y avait droit de cité. Mais, quoiqu’il ne soit pas défendu de penser qu’un jour viendra où la notion de l’esprit subsistant en soi sera reléguée parmi les vieilleries, en attendant, il n’en incombe pas moins à ceux qui, dès à présent, la rejettent, d’accepter et de résoudre le problème dans les termes précis où les spiritualistes l’ont renfermé.


I. — L’organisme à organe adventice.


Un problème, quel qu’il soit, pour être abordé avec quelque chance de succès, doit être ramené à son expression la plus simple. Tâchons donc de nous expliquer la permanence individuelle d’un être chez qui la sensibilité serait à l’état rudimentaire.

Sous sa forme la plus réduite, l’animal est essentiellement constitué par une portion de matière douée de sensibilité générale et de motilité. La sensibilité générale est la simple faculté d’éprouver des sentiments non spécifiés de plaisir ou de peine. J’entends par motilité la faculté de se mouvoir en sachant qu’on se meut. En exerçant cette faculté, l’animal apprend que certaines de ses sensations sont le fait de sa volonté, d’où il conclut que les autres lui viennent d’un monde différent de lui-même. Cette distinction première est le point de départ de l’acquisition des notions ultérieures. Sans la motilité, il n’y a ni perception, ni intelligence, ni expérience, ni progrès possibles. De même que nous ne pouvons concevoir une éclosion de la sensibilité, nous ne pouvons non plus assigner de commencement à la motilité. Nous comprenons sans difficulté la soumission de la volonté à une règle, et, par conséquent, la transformation de mouvements primitivement libres en mouvements nécessaires ; il nous est impossible de nous figurer comment la liberté et la volonté peuvent sortir d’une combinaison de forces fatales.

Mais, si les propriétés essentielles de la substance animale ne nous semblent susceptibles ni de naissance ni de mort, l’individu, lui, nous apparaît limité dans le temps comme il l’est dans l’espace. Il y a là un mystère jusqu’aujourd’hui impénétré. Heureusement, nous pouvons, le laissant hors de notre chemin, essayer de nous représenter un individu tel qu’il serait à son entrée hypothétique dans la vie. En lui, point de trace d’organisation ou de différenciation quelconque ; point d’organe, point de fonction : il est homogène — autant que quelque chose peut l’être dans un milieu essentiellement hétérogène. Nul changement et, partant, nulle sensation, nulle volition, nul mouvement, ne se produiraient en lui si le milieu ne changeait pas. Mais il n’en sera plus de même dès qu’il se manifestera