Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/435

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
425
delbœuf. — le sommeil et les rêves

chien de mon voisin, et cela, entre autres raisons, parce que je le vois tous les jours. L’idée d’un chien que je n’aurais vu qu’une fois pourrait cependant avoir un relief égal si, par exemple, ce chien m’avait mordu. Cela provient, dans ce cas, de l’attention que je lui aurai accordée au moment où elle s’est produite. Au fond, cette cause agit de même façon que la précédente. Faire attention, c’est accumuler dans un court espace de temps des répétitions nombreuses de la même impression. Celui qui considère attentivement un tableau pendant quelques minutes le grave aussi nettement dans son esprit que celui qui viendrait plusieurs jours de suite y jeter un simple coup d’œil.

Or l’idée commune se forme, pour ainsi dire, mécaniquement, par la répétition des impressions identiques. Les caractères par lesquels tous les chiens se ressemblent se sont imprimés dans la mémoire chaque fois qu’on a vu un chien, et c’est ainsi que l’idée commune chien a un relief singulier, bien qu’il soit impossible de se représenter un chien en général. Par l’intermédiaire de l’idée commune, une image particulière peut éveiller un nombre incalculable d’autres idées particulières. La vue de la cathédrale de Strasbourg peut vous mettre devant les yeux toutes les villes remarquables par leurs cathédrales, et tous les incidents de vos voyages, si vous les avez visitées. L’idée commune joue un rôle analogue à celui de l’organe[1].

  1. Je lis dans la Bibliothèque universelle (nov. 1879, p. 354) le résumé suivant d’expériences très curieuses faites par M. Francis Galton à l’Institution royale :

    « Lorsqu’on a considéré successivement un certain nombre d’objets de même nature ou un certain nombre de personnes ayant en commun quelques traits caractéristiques, une série de feuilles d’arbre ou plusieurs hommes appartenant à une nation étrangère, des Italiens par exemple, l’image qui nous reste dans l’esprit n’est pas celle de telle ou telle feuille d’arbre ou de tel ou tel Italien, mais celle d’une feuille ou d’un Italien en général ; c’est ce que M. Francis Galton appelle une image générique. Les caractères particuliers ou individuels se sont effacés. Les caractères communs par leur répétition ont produit une impression plus durable et restent seuls gravés dans l’esprit. C’est là l’opération intellectuelle qu’on désigne sous le nom d’abstraction et grâce à laquelle nous pouvons nous élever à la notion du type.

    « M. Galton s’est efforcé d’arriver à un résultat analogue par des procédés purement mécaniques, en combinant plusieurs portraits de manière à former ce qu’il appelle un portrait générique ou typique. Il projette plusieurs portraits distincts sur le même écran, au moyen de lanternes magiques disposées de façon que les images se superposent exactement. On pourrait croire qu’on n’a ainsi qu’un barbouillage confus. Point du tout : les traits communs se renforcent si bien que les autres disparaissent, et l’image obtenue est très nette. Il s’y prend encore d’une autre façon. Il photographie sur la même plaque une série de portraits, en ayant soin de ne laisser agir la lumière sur chacun d’eux que pendant un temps très court, et il a une photographie qui est la moyenne ou la résultante des divers portraits. Chose curieuse, ces photographies ont un caractère individuel très marqué, et en même temps une pureté de formes qui les rend plus agréables à voir que les portraits primitifs. Il