Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
34
revue philosophique

distinction n’exclut pas l’unité, ni la différence l’identité. Ainsi, au moment où Kant désespérait d’atteindre la réalité, il y était plongé ; au moment où il croyait ruiner la métaphysique par ses antinomies, il en établissait les assises définitives. La pensée est l’absolu ; toute réalité est une détermination de la pensée ; le réel se confond avec l’intelligible, la logique avec la métaphysique, la dialectique de l’intelligence réfléchie avec l’enchaînement nécessaire des idées et des catégories dans la nature, le mouvement de la pensée consciente qui se développe en idées successives, toutes visibles à elles-mêmes, avec l’évolution de l’obscure pensée qui s’élève par l’effort fécond de ses créations successives. Quand l’homme se tourne vers lui-même, il n’est pas emprisonné dans les limites étroites d’une individualité fermée, il contemple l’universel et l’absolu ; quand il analyse sa pensée, il n’y découvre pas je ne sais quelles formes vides, types généraux, abstractions stériles, squelettes banals de la réalité dépouillée, il étudie l’être dans son essence et dans ses lois ; et quand, obéissant à l’impulsion qui meut toute pensée, il suit la marche dialectique, qui par thèse, antithèse et synthèse, oppose et concilie les idées et les catégories en les enchaînant, de l’être abstrait identique au néant jusqu’à la réalité la plus concrète, il reproduit la logique mouvante qui travaille au plus profond des choses et conduit tout ce qui est par la voie sûre des déductions nécessaires. Est-ce à dire qu’il faille reprendre l’œuvre impossible de l’idéalisme ? faire sortir de formules à priori le détail des phénomènes ? Pourquoi mépriser l’expérience ? La nature, c’est encore la pensée, et il faut la consulter, parce qu’elle vérifie la logique en la réalisant. L’homme ne sort de lui-même que pour se retrouver dans les choses : c’est partout et toujours la lutte féconde où les termes ennemis se réconcilient dans un terme supérieur qui les comprend sans les anéantir, paix provisoire d’où sort une guerre nouvelle jusqu’à la conciliation suprême dans l’absolu ; c’est toujours la même logique progressive et ascendante qui élève la nature de la matière à la vie et à la pensée, et qui dirige toutes les démarches de l’activité humaine dans la religion, dans l’art, dans la philosophie, dans toutes ses expressions pratiques ou spéculatives. De cette union féconde de l’homme et de la nature naît la science, amour heureux, où d’abord la distinction et les ressemblances pressenties suscitent une curiosité sympathique, jusqu’à ce que l’amour, grandissant avec l’intelligence de l’être aimé, concilie toutes les contradictions apparentes et, en révélant à l’esprit son identité avec la nature, de plus en plus l’éveille à la conscience de sa divinité[1].

  1. Tome iii, p. 1-131.