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analyses. — w. clifford. Lectures and Essays.

infinitum. Cette représentation imparfaite est ce qu’on appelle l’univers matériel. C’est la peinture dans un esprit humain de l’univers réel des éléments psychiques. »

III. — Sur cette métaphysique et sur les lois de l’évolution, Clifford a fondé sa conception de la science en général et de la science morale en particulier.

La pensée scientifique a un but pratique, celui de faciliter notre action sur la nature. La méthode consiste à appliquer à de nouvelles circonstances l’expérience passée, conformément à une certaine uniformité observée dans le cours des événements. Nous arrivons ainsi à inférer des choses que nous n’avons pas vues d’après celles que nous avons vues, et la valeur de cette induction dépend de notre hypothèse que l’uniformité subsiste au delà des données expérimentales. Cette uniformité que nous affirmons s’entend d’une manière de plus en plus précise en raison des progrès de la science. Elle signifie aujourd’hui que la nature entière est construite atomiquement, c’est-à-dire que du haut en bas de l’échelle des êtres il n’y a qu’une complication des mômes lois et des mômes éléments, que tout changement se résout en une transformation de mouvements, en une variation des rapports et du nombre des unités similaires qui composent toutes choses.

L’uniformité de la nature implique l’existence de lois exactes et universelles. Mais cette exactitude, comment faut-il l’entendre ? Si nous énonçons une loi rigoureuse, par exemple celle de la chute des corps, voulons-nous dire que pratiquement la loi réelle, objective, et la loi énoncée diffèrent au plus d’une quantité imperceptible pour toutes les expériences actuellement possibles ? ou voulons-nous dire que théoriquement, si l’on tenait compte de toutes les circonstances de temps et de lieu, de l’influence des astres, de l’action réciproque de toutes les forces à l’infini, l’expérience devrait nécessairement être la résultante absolument rigoureuse de toutes les lois en jeu ? La connaissance d’une loi exacte en ce dernier sens est impossible, car elle supposerait une observation infinie. Même les lois mathématiques du nombre, de l’étendue et du mouvement n’ont qu’une universalité relative au monde où se passent nos expériences. Dans une intéressante étude sur la philosophie des sciences pures, Clifford constate, après Lobatschewsky, Gauss, Riemann, Helmholtz, que notre géométrie et notre arithmétique n’ont pas une valeur absolue, et qu’on peut concevoir un espace différent du nôtre, où les postulats d’Euclide ne s’appliqueraient pas.

Le principe de l’uniformité de la nature ainsi restreint suffit pour fonder la science de notre univers. Comme, en réalité, tous nos jugements ne sont que le prélude de nos mouvements ou des commencements d’énergie qui n’aboutissent pas à l’acte, les lois scientifiques ont le même caractère : elles sont des maximes hypothétiques. Dire que l’eau est une combinaison d’oxygène et d’hydrogène, c’est dire : Si je veux produire de l’eau, il faut que je combine deux volumes d’hydrogène avec un d’oxygène.