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La science est donc un ensemble de maximes : 1° hypothétiques, 2° dérivées de l’expérience, et 3° fondées sur le principe de l’uniformité dans la nature.

Pour que la morale mérite aussi le nom de science, il est évident que ses maximes doivent avoir le triple caractère que nous venons d’indiquer. Mais il faudra quelque chose de plus. Dans les études morales, nous ne faisons pas seulement des inductions de phénomènes à phénomènes (pour lesquelles le principe de l’uniformité est une base suffisante) ; nous allons des phénomènes sensibles à des faits qui sont les conditions des phénomènes, bien qu’ils en soient tout, différents. Si je vous pique et si vous criez, j’induis que vous souffrez. Cette induction est fondée sur la croyance qu’à votre corps est rattachée une conscience semblable à la mienne. Cette croyance ne ressemble pas à notre foi en l’uniformité de la nature, car l’induction physique peut se vérifier : elle porte sur mes perceptions, choses contenues dans mon esprit. Mais, quand de vos paroles j’infère que vous avez une conscience, je passe de mes sensations (vos paroles) qui font partie de moi à quelque chose qui est hors de moi, votre conscience, vos sensations. Il y a donc beaucoup de faits que nous ne pouvons affirmer que par cette seconde sorte d’induction : la conscience des hommes et des animaux supérieurs, la. conscience affaiblie des organismes inférieurs, et les énergies quasi mentales qui sont liées aux mouvements de la matière inanimée.

Ce sont là, nous l’avons vu, les éléments de la véritable réalité : leurs associations complexes correspondent à celles des phénomènes, et le déterminisme uniforme de la nature sensible est parallèle au déterminisme uniforme des choses en elles-mêmes. Ce dernier point est une condition essentielle pour la possibilité d’une science morale. Si l’homme avait une liberté capricieuse, sans détermination préalable, nous ne pourrions plus conclure que, si les circonstances étaient exactement les mêmes, l’homme choisirait et agirait de même. Mais ce genre de liberté est une conjecture gratuite : aussi loin que notre conscience peut remonter, nous constatons uniquement des idées précédées, expliquées par d’autres idées : des motifs se présentent à notre esprit, et nous choisissons entre eux sous l’influence de motifs plus cachés, qui constituent un moi plus profond et plus intérieur.

La conscience ne peut remonter à l’infini le cours des idées qui se déterminent les unes les autres ; mais il serait bien téméraire d’affirmer que ce déterminisme cesse lorsque cette impuissance de la conscience nous prive des moyens de le constater.

D’ailleurs, si réellement un moi capricieux venait ainsi s’interposer entre nos idées pour détruire le lien logique qui les relie, on ne pourrait plus raisonnablement louer ni blâmer un homme de ses actes, il ne serait plus responsable. S’il est responsable, c’est qu’il y a en lui une conscience morale, c’est-à-dire un ensemble de sentiments qui le poussent à faire le bien et non le mal, et que l’action à produire est de celles que cette conscience tend à déterminer. Si nous connaissions