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analyses. — w. clifford. Lectures and Essays.

truisme ; elle ne consiste pas à faire du bien aux autres en tant qu’individus, mais à servir la communauté au point d’oublier que nous sommes différents d’elle.

Peut-on déterminer d’une manière plus précise, plus analytique ce qu’est le bien ? On y arrivera en étudiant expérimentalement ce qui fait la santé ou le dépérissement d’une société : et les recherches historiques seront ici d’un grand secours, s’il est vrai, comme il semble, que la nature morale de l’homme et de la société n’ait pas sensiblement changé dans les cinquante siècles dont nous pouvons faire l’histoire. L’éthique rationnelle se fondera sur les lois de modification des caractères et sur la constatation des variétés de caractère qui ont le mieux favorisé le développement d’une race donnée. Le sens moral, quoique intuitif, devra être dirigé à l’avenir par la découverte consciente du dessein social qu’il est chargé de servir.

Il est inutile d’ajouter que les religions, bien qu’elles aient souvent paru protéger et fortifier la morale, n’ont jamais rien eu de commun avec elle. La conscience est la voix de l’homme héréditairement enracinée dans nos cœurs et nous commandant de travailler pour l’homme, c’est-à-dire pour la société formant un tout organisé et luttant pour son existence. Comme nous entendons cette voix en nous sans savoir d’où elle vient, on a pu penser que c’était la voix de Dieu. Il est arrivé alors que, sous l’influence des prêtres, nous avons reporté à Dieu la soumission qui n’était due qu’à l’homme : mais on a empoisonné ainsi les sources mêmes de la moralité. Lorsque les hommes respectent la vie humaine pour obéir à cette voix sociale qui parle en eux, la tranquillité, l’ordre et le progrès apparaissent aussitôt ; mais ceux qui respectaient la vie humaine seulement parce qu’un Dieu avait défendu le meurtre ont marqué par le sang et le feu les quinze siècles de leur domination en Europe. Rien de plus naturel : on devait supposer que ce Dieu auteur de la loi morale pouvait accorder ou faire accorder par ses prêtres le pardon de fautes commises contre lui seul. Mais comment Dieu pourrait-il pardonner des péchés commis envers l’homme ? Sans doute il est doux de se représenter une Providence invisible veillant sur nous et nous préparant un avenir meilleur ; mais la vérité ne nous permet plus d’affirmer, en dehors de l’humanité, une Providence de ce genre : « À mesure que cette notion d’une divinité surnaturelle devient plus vague et s’enfonce dans le passé, nous percevons avec une clarté de plus en plus grande l’avènement d’une figure plus noble et plus majestueuse, de celui qui a fait tous les dieux et qui les détruira tous. Des profondeurs de l’histoire et du for intérieur de chaque âme surgit l’image de notre père, l’Homme, qui nous regarde avec l’éclat de l’éternelle jeunesse dans ses yeux et qui nous dit : Je suis celui qui était avant que Jéhovah fût ! »

IV. — Nous n’avons pu dans ces quelques pages résumer toutes les idées ingénieuses semées dans les Essais. Nous ne prétendons pas davantage faire la critique complète de ce système moral, dont l’auteur