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ments de plaisir qui sont évidemment directs, c’est-à-dire qui naissent de l’activité de l’organe visuel, et nous suivrons le processus par lequel se bâtit, sur ces fondements, une jouissance intellectuelle plus complexe. De là, je passerai aux éléments de plaisir indirects ou associés. Le genre le plus simple d’appréciation visuelle de la forme est l’appréciation des rapports linéaires. Pour des raisons dont nous parlerons tout à l’heure, une ligne droite est l’élément naturel de la forme visuelle, et le développement de la perception visuelle de la forme (considéré comme indépendant de celui de la perception tactile) se fait par une sorte de synthèse d’éléments linéaires. Nous pouvons donc nous borner pour le moment à ce genre d’intuition de la forme.

Il y a deux manières de percevoir une ligne : ou bien l’œil se meut tout du long et en apprécie la direction, la longueur, etc., à l’aide du mouvement ; ou bien il se fixe sur la ligne, et l’évalue par le moyen des impressions qu’elle produit simultanément sur différents éléments de la rétine. Je supposerai ici ce qui est admis par des auteurs allemands, tels que Lotze, Helmholtz et Wundt, aussi bien que par la plupart des psychologues anglais, à savoir que la première de ces deux méthodes est la plus ancienne. C’est là, par conséquent, l’expérience simple où nous devons d’abord chercher le germe du plaisir de la forme.

I. — Facteur sensoriel.

Nous devons imaginer l’œil, et tout d’abord un seul œil séparé de l’autre, se mouvant comme il le fait maintenant, mais ayant, au lieu d’une rétine étendue, un seul point sensible au centre de la tache jaune : ce point sensible est dirigé successivement vers différents points du contour d’un objet, sans autre modification dans le sentiment que celle qui se rattache au mouvement lui-même[1]. Il est clair que cette expérience ressemblera exactement à celle qui consiste à suivre un objet en mouvement, comme une étoile filante, avec cette seule différence que, dans le premier des deux cas, la vitesse du mouvement est arbitraire. Pour comprendre le genre de sentiment esthétique que l’œil éprouverait dans ces circonstances, il est nécessaire de dire un mot de son mode d’action. Je supposerai que le lecteur est au courant du mécanisme du mouvement de l’œil dans ses traits généraux, et je me contenterai de spécifier un ou deux faits qui ont une signification importante pour notre sujet.

  1. Cette supposition n’est pas concevable en réalité, puisqu’une pluralité d’éléments de la rétine est nécessaire à l’œil pour suivre une ligne quelconque.