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j. sully. — le plaisir de la forme visuelle.

linéaire, suppose évidemment un nombre incalculable de ces éléments moins bien définis de perception.

L’étude des divers moyens d’assurer à la forme visuelle une unité agréable est un peu plus compliquée : approximativement parlant, on peut dire qu’il y a trois moments ou aspects à distinguer dans cette unité, savoir : la continuité des parties l’une par rapport à l’autre, leur corrélation commune avec quelque élément dominant, qui est généralement l’élément central, et enfin leur similitude et leur égalité. Un mot ou deux suffiront à éclaircir chacun de ces aspects du problème.

1° Nous avons trouvé, dans la nature du mouvement oculaire, une raison pour faire entrer la continuité des lignes dans le plaisir de la forme. Au-dessus du sentiment de transition graduelle ainsi engendré, il y a le sentiment d’unité produit tout de suite par un arrangement continu, par opposition à un arrangement interrompu. Le mouvement de l’œil le long du contour jusqu’à ce qu’il revienne à son point de départ engendre un sentiment particulier de plaisir qu’on pourrait appeler le sentiment du complet[1]. La valeur esthétique spéciale du contour se voit à la coutume qu’on a de l’accentuer dans les dessins décoratifs par des ornements accessoires. Il est clair que ce sentiment à l’égard de la valeur esthétique de la forme sera développé par l’expérience, qui nous conduit à considérer le contour comme le facteur essentiel de l’unité des objets.

2° Un autre genre d’unité de la forme, qui a des rapports étroits avec la continuité, est la commune liaison à un élément principal de forme, et plus particulièrement à un trait caractéristique central et dominant. Pour l’œil en repos, comme pour l’œil en mouvement, l’arrangement des parties autour d’un centre a une valeur spéciale, parce qu’il donne lieu au mode le plus naturel d’activité de perception. En effet, grâce à la structure de la rétine, le centre d’un objet . ou d’un groupe d’objets occupe naturellement une place d’honneur[2]. L’œil est instinctivement disposé à rattacher toutes les parties d’un

  1. Ceci est tout à fait analogue à la satisfaction que tire l’oreille d’un mouvement mélodique, partant d’une note donnée (la tonique) et y revenant.
  2. C’est une particularité distinctive des mouvements de l’œil allant de la position primordiale au dehors, qu’ils ne sont accompagnés d’aucune rotation de l’œil autour de l’axe de la vision. Il en résulte que, lorsqu’il suit des lignes qui rayonnent du centre du champ (juste vis-à-vis de lui), il continue à recevoir l’image de la ligne sur le même méridien ou sur la même série de points de la rétine, de sorte que pour deux mouvements successifs quelconques les images se recouvrent en partie. Ce fait montre l’extrême importance qu’il y a à estimer la direction et la distance par rapport au centre. On peut ajouter que M. Ruskin admet le principe ici vérifié dans ses « lois de principauté et de radiation. »