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j. sully. — le plaisir de la forme visuelle.

un contour bien marqué, aussi bien qu’un élément central de repos, peut être considéré comme le résultat d’habitudes enracinées, déterminées par les conditions de la vision et de la reconnaissance distinctes des objets dans la vie journalière. De même, le goût de l’œil pour la proportion semble n’être que le développement d’une habitude de faire attention à la grandeur relative, habitude qui se rattache clairement à l’importance capitale de reconnaître des objets situés à différentes distances de l’œil[1]. Et il est possible que la préférence pour le rapport connu dans l’art sous le nom de « section d’or », rapport qui, suivant Zeising, se trouve réalisé dans les diverses proportions de la forme humaine, soit due à l’habitude une fois prise de faire de cette forme frappante et soigneusement observée une règle de mesure.

La valeur esthétique de la symétrie, et plus spécialement de la symétrie bilatérale, vérifie d’une manière frappante cette action des circonstances environnantes et de l’habitude dans la détermination de nos modes d’activité les plus agréables. M. Grant Allen a récemment fait des observations sur ce sujet (Mind, XV), mais sans aucune mention spéciale de la symétrie bilatérale. Non seulement la plupart des formes organiques présentent cette symétrie bilatérale, mais les formes de la nature inanimée, comme la montagne et la vallée, montrent ce même rapport. L’action même des forces physiques qui déterminent la configuration de la surface terrestre tend à produire un arrangement symétrique bilatéral, comme on peut le voir par cette simple expérience qui consiste à jeter à terre un tas de cailloux ou de sable. En outre, les conditions de la solidité, et les besoins de la vie en général, contribuent à donner à la symétrie bilatérale une haute valeur pratique. La plupart des produits des arts utiles, depuis l’architecture jusqu’à l’art de construire des ustensiles vulgaires, possèdent cette symétrie bilatérale. La prédominance de ce rapport dans les objets de perception journalière contribuerait à déterminer l’habitude de chercher la symétrie comme la forme normale des choses. En d’autres termes, la symétrie bilatérale tendrait à devenir, pour parler comme Kant, une sorte de forme à priori de l’intuition esthétique.

Mais ce facteur direct n’est, après tout, qu’un seul trait de la forme

  1. Je connais un enfant qui, à l’âge de trois ans, reconnaissait les visages de divers parents au moyeu d’une photographie prise huit années auparavant. La photographie était un groupe carte de visite, où il y avait juste une douzaine de personnes en pied, et beaucoup d’espace occupé par le fond. Une telle aptitude à apprécier la forme, dans un âge si tendre, donne à croire qu’il y a peut-être une disposition innée à reconnaître l’identité au moyen de l’égalité des dimensions relatives.