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g. séailles.philosophes contemporains

pendre. Dans l’ordre de la qualité, le même procédé conduit au même résultat. Tout être individuel est imparfait, parce qu’il réalise une perfection déterminée à l’exclusion de toutes les autres. Mais prenez l’Être abstrait, la raison, en vertu de sa loi constitutive, dépasse tous les types réalisés, comme elle a dépassé toutes les quantités assignables, et arrive par l’extension indéfinie de la qualité à l’idée de perfection, à laquelle ne résiste pas l’être abstrait, qui n’est parfait que parce qu’il n’est rien de déterminé. Ainsi il n’y a dans tout ce travail rien de mystérieux ; une loi de l’esprit qui ne permet à la pensée de s’arrêter dans aucune catégorie, une abstraction qui permet à cette loi de s’exercer sans trouver dans une réalité déterminée et nécessairement finie une contradiction insoluble : voilà tout le mystère[1].

Quelle est la valeur objective des idées de la raison ? Les notions de l’entendement ont toujours leurs homonymes dans la réalité dont elles sont extraites ; en même temps que les nôtres, elles sont les idées de la nature, nous les dégageons, nous les définissons, nous ne les créons pas. En est-il dé même des idées du parfait, de l’infini ? et pouvons-nous trouver une réalité qui leur corresponde ? La métaphysique le plus souvent imagine un être en soi, abstraction faite de toute quantité, de toute qualité, de toute relation, un Dieu sans monde, « relégué sur le trône d’une éternité silencieuse et vide ; » mais comment se représenter. cet être qui a pour caractère d’être en dehors de toutes les lois de l’existence. La raison ne nous révèle ni ne nous impose cet être inintelligible qui contredit toutes les conditions de l’être. La raison nous impose la nécessité logique de concevoir l’Être encore et toujours, au delà de toutes les formes que l’expérience nous montre et que l’imagination peut nous représenter. Puisque nous ne pouvons concevoir un certain être, indépendant des êtres réels, qui réponde à cette loi de la pensée, sans tomber dans l’inintelligible, et puisque nous ne pouvons échapper à cette loi de l’intelligence sans renoncer à l’intelligence même, il reste que cette conception s’applique non à tel être, à tel système d’êtres, mais à la totalité infinie des êtres qui remplissent l’univers. La déduction est très simple ; on ne peut nier l’Être, le limiter ni dans l’espace ni dans le temps ; cette loi de l’esprit reconnue, et il faut bien la reconnaître, puisqu’elle s’impose, le monde apparaît comme l’Être infini, universel, absolu, nécessaire dont les manifestations remplissent l’éternel et l’immense. L’Être infini existe : c’est le monde.

Pouvons-nous trouver de même une existence réelle qui réponde à l’idée de perfection ? Les théologiens n’hésitent pas, et ils vont jus-

  1. Tome ii, p. 52-118.