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Th. ribot. — la memoire comme fait biologique.

Pour nous en tenir, en ce moment, à la mémoire organique, prenons l’un de ces mouvements automatiques secondaires qui nous ont servi de type, et considérons ce qui se passe pendant la période d’organisation : soit, par exemple, les mouvements des membres inférieurs pendant la locomotion.

Chaque mouvement exige la mise en jeu d’un certain nombre de muscles superficiels ou profonds, de tendons, d’articulations, de ligaments, etc. Ces modifications — au moins la plupart — sont transmises au sensorium. Quelque opinion que l’on professe sur les conditions anatomiques de la sensibilité musculaire, il est certain qu’elle existe, qu’elle nous fait connaître la partie de notre corps intéressée dans un mouvement et qu’elle nous permet de le régler.

Que suppose ce fait ? Il implique des modifications reçues et conservées par un groupe déterminé d’éléments nerveux. « Il est évident, dit Maudsley (qui a si bien étudié le rôle des mouvements chez l’homme), qu’il y a dans les centres nerveux des résidus provenant des réactions motrices. Les mouvements déterminés ou effectués par un centre nerveux particulier laissent, comme les idées, leurs résidus respectifs, qui, répétés plusieurs fois, s’organisent ou s’incarnent si bien dans sa structure que les mouvements correspondants peuvent avoir lieu automatiquement… Quand nous disons une trace, un vestige ou un résidu, tout ce que nous voulons dire, c’est qu’il reste dans l’élément organique un certain effet, ou quelque chose qu’il retient et qui le prédispose à fonctionner de nouveau de la même manière[1]. » C’est cette organisation des « résidus » qui, après la période de tâtonnements dont nous avons parlé, nous rend aptes à accomplir nos mouvements avec une facilité et une précision croissantes, jusqu’à ce qu’enfin ils deviennent automatiques.

En soumettant à l’analyse ce cas très vulgaire de mémoire organique, nous voyons qu’il implique les deux conditions mentionnées ci-dessus.

La première est une modification particulière imprimée aux éléments nerveux. Comme elle a été souvent signalée, nous nous y arrêterons peu. D’abord le filet nerveux, vierge par hypothèse, recevant une impression toute nouvelle, garde-t-il une modification permanente ? Ce point est discuté. Les uns voient dans les nerfs un simple conducteur dont la matière constituante, un moment troublée, revient à son état d’équilibre primitif. Que l’on explique la transmission par des vibrations propagées le long du cylindre-axe ou par une décomposition chimique de son protoplasma, il est cependant diffi-

  1. Maudsley, Physiologie de l’esprit, trad. Herzen, p. 433 et 252.