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Th. ribot. — la memoire comme fait biologique.

faire entrer dans une nouvelle combinaison et concourir à former une autre mémoire.

Remarquons encore que la nécessité d’un grand nombre de cellules et de filets nerveux pour la conservation et la reproductipn d’un mouvement, même relativement simple, implique une possibilité plus grande de permanence et de reviviscence ; par suite du nombre des éléments et de la solidarité qui s’établit entre eux, les chances de résurrection augmentent, chacun pouvant contribuer à raviver tous les autres.

Enfin notre hypothèse s’accorde avec deux faits d’observation courante :

1° Un mouvement acquis, bien fixé dans l’organisme, bien retenu est très difficilement remplacé par un autre, ayant à peu près le même siège, mais supposant un mécanisme différent. Il s’agit, en effet, de défaire une association pour en faire une autre, de briser des rapports établis, pour en nouer de nouveaux.

2° Il arrive quelquefois que, au lieu d’un mouvement accoutumé, nous produisons involontairement un autre mouvement accoutumé : ce qui s’explique parce que les mêmes éléments entrant dans des combinaisons différentes, pouvant susciter des décharges en divers sens, il suffit de circonstances infiniment petites pour mettre en activité un groupe au lieu d’un autre et produire en conséquence des effets différents. C’est ainsi du moins que nous expliquons le fait suivant rapporté par Lewes (ouvrage cité, p. 128) : « Je racontais un jour une visite à l’Hôpital des Épileptiques et désirais nommer l’ami qui m’accompagnait et qui était le Dr  Bastian ; je dis le Dr  Brinton ; je me repris immédiatement en disant le D r Bridges ; je me repris encore pour prononcer enfin le Dr  Bastian. Je ne faisais aucune confusion quant aux personnes ; mais ayant imparfaitement ajusté les groupes de muscles nécessaires pour l’articulation d’un nom, le seul élément commun à ce groupe et aux autres, savoir le B, a servi à les rappeler tous trois. » Cette explication nous paraît parfaitement exacte, et nous pouvons encore, avec l’auteur, noter un fait bien connu qui vient à l’appui de notre thèse : « Qui ne sait que lorsque nous cherchons à nous rappeler un nom, et que nous avons le sentiment qu’il commence par une certaine lettre, en conservant constamment cette lettre dans l’esprit le groupe entier finit par surgir, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire que cette lettre soit toujours présente à la conscience ? » — Une remarque analogue peut être faite pour les mouvements acquis qui constituent l’écriture. C’est une méprise que j’ai observée souvent sur moi-même, surtout lorsque j’écris vite et que j’ai la tête embarrassée : elle est si courte, si vite