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Th. ribot. — la mémoire comme fait biologique.

l’état de stabilité parfaite ; ils deviennent « machines en tout » ; pour la plus grande partie de leur vie, la conscience est un superflu.

Après avoir retourné notre sujet en tous sens, nous revenons donc à notre proposition du début : la mémoire consciente n’est qu’un cas particulier de la mémoire biologique. Nous pouvons, par des considérations d’un autre ordre, faire voir une fois de plus que la mémoire est liée aux conditions fondamentales de la vie.

Toutes les formes de la mémoire, de la plus haute à la plus basse, ont pour support des associations dynamiques entre les éléments nerveux et des modifications particulières de ces éléments, tout au moins des cellules. Ces modifications résultant de l’impression première ne sont pas conservées dans une matière inerte ; elles ne ressemblent pas au cachet imprimé sur la cire. Elles sont déposées dans une matière vivante. Or tous les tissus vivants sont en état de rénovation moléculaire continue, le tissu nerveux plus qu’aucun autre, et, dans le tissu nerveux, la substance grise plus que la substance blanche, comme le prouve l’excessive abondance des vaisseaux sanguins qui la baignent. Puisque les modifications persistent, il faut que l’apport des nouveaux matériaux, que l’arrangement des nouvelles molécules reproduise exactement le type de celles qui sont remplacées. La mémoire dépend directement de la nutrition.

Mais les cellules n’ont pas seulement la propriété de se nourrir. Elles sont douées, au moins pendant une partie de leur vie, de la faculté de se reproduire, et nous verrons plus tard comment ce fait explique certains rétablissements de la mémoire. De ravis de tous les physiologistes, cette reproduction n’est d’ailleurs qu’une forme de la nutrition. La base de la mémoire est donc la nutrition, c’est-à-dire le processus vital par excellence.

Je n’insiste pas pour le moment sur cette grosse question. Quand nous aurons parlé des désordres de la mémoire, de ses excitations et de ses dépressions, de ses suspensions momentanées, de ses disparitions et de ses retours brusques, de ses affaiblissement progressifs, nous pourrons y revenir avec profit ; alors le rôle capital de la nutrition se révélera de lui-même. Jusqu’ici, nous ne connaissons qu’une moitié de notre sujet : la mémoire à l’état sain. Il faut l’étudier à l’état malade. La pathologie de la mémoire complète sa physiologie. Nous verrons si elle la confirme.

Th. Ribot.