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boirac.les problèmes de l’éducation

notre système d’études. C’est Rollin, qui, comme le dit si bien M. Compayré, est avant tout un professeur de rhétorique. Aussi la fin prochaine de l’éducation est, à ses yeux, de faire des hommes de goût. « Former le goût, dit-il, est ma principale vue. » C’est bien, il faut l’avouer, l’idée que l’on se fait trop souvent en France du but de l’éducation dans notre enseignement secondaire : c’est du moins l’idée que s’en faisaient, par exemple, M. Villemain, qui déclare que, « depuis le Traité des études, on n’a pas fait un pas, » et M. Nisard, qui proclame que, a dans les choses de l’éducation, le Traité des études est le livre unique : c’est le livre ! » Voilà bien, mais cette fois prise au sérieux et professée de bonne foi, la doctrine pédagogique des Jésuites, pour qui, nous l’avons vu, toute l’éducation intellectuelle consiste à s’efforcer d’acquérir par la lecture et l’imitation des classiques une certaine correction et élégance littéraire. Et l’on sait trop que le goût n’est pour bien des gens que le culte d’un certain formalisme traditionnel, et comme le respect humain du « convenu ». Toutefois, et c’est ici qu’éclate cette incohérence de principes qui est le défaut commun à presque toutes les doctrines pédagogiques, ces études littéraires, si hautement louées et si minutieusement réglées, se trouvent, enfin de compte, n’être qu’une fin accessoire, ou, pour mieux dire, qu’un moyen subordonné à la fin véritable. « Le but, dit M. Compayré, d’après Rollin, n’est pas de faire apprendre le latin, le grec, des dates, des syllogismes : ces études ne sont que des moyens, la fin est ailleurs. Elle est dans le développement de l’âme, dans sa conformité à la vertu, à la vertu chrétienne. » Il faudrait bien pourtant s’entendre une bonne fois sur le but qu’on assigne définitivement à l’éducation, car il n’est pas possible d’accorder sans discussion que, si ce but est de former des âmes vertueuses, des études comme celles du latin, du grec, des dates, des syllogismes, puissent en être les moyens ; il semble bien plutôt qu’elles constituent elles-mêmes un second but, tout à fait distinct du premier, celui que Rollin a déjà lui-même défini en disant que sa principale vue était de former le goût.

Ainsi de ces trois formes de l’éducation qu’Herbert Spencer appelle successivement éducation intellectuelle, éducation morale, éducation physique, laquelle, sans parler de l’éducation technique, doit être considérée comme la fin et la raison d’être des deux autres ? C’est encore, exprimé en d’autres termes, ce premier problème de la pédagogie que nous ne voyons ni discuté ni même posé nulle part, mais qui reçoit tour à tour, et chez le même écrivain, les solutions les plus diverses. Reconnaissons cependant qu’au dix-huitième siècle, en particulier, on tend à subordonner l’éducation