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delbœuf. — le sommeil et les rêves.

qui a chez moi remis en lumière le rêve que je viens de raconter.

On s’explique de la même façon pourquoi on se souvient parfois du seul caractère du rêve, gai, effrayant, érotique. C’est que quelque chose de la gaieté, de l’effroi, de la disposition amoureuse dure encore au réveil.

Enfin, c’est toujours dans le même ordre de cause qu’il faut chercher la raison d’une aventure assez commune. On vient de faire un songe qu’on juge remarquable ; on se réveille, on le repasse dans sa mémoire, se promettant bien de le retenir. On se rendort, et le matin, la plupart du temps, on en a oublié tous les détails ; on se rappelle seulement qu’on en a fait un et qu’on l’avait repassé pour le retrouver à son réveil. En pareil cas, pour fixer un rêve dans votre esprit, il vous faut prendre la précaution de l’associer à quelque mouvement musculaire, comme de l’écrire avec le doigt sur la paume de la main, ou de remuer un objet et de le mettre hors de sa place habituelle.

Ces faits, et d’autres semblables, viennent à l’appui de l’affirmation, toute théorique, suivant laquelle il n’y a pas de sommeil sans rêves. Il s’agit seulement de bien s’entendre. Ne comprend-on sous le nom de rêves que des conceptions imagées ? L’affirmation doit être repoussée au nom de la théorie du sens adventice développée précédemment. Si l’on admet, au contraire, que le dormeur peut, par exemple, rêver chaleur sans songer en même temps à des brasiers, des volcans, des fournaises, ou tout autre objet d’une forme déterminée à laquelle il rapporterait la cause de sa sensation, l’opinion énoncée plus haut me parait légitime. D’ailleurs, se rendrait-on bien compte de l’existence d’un être sensible qui serait tout à fait soustrait aux influences extérieures et dont les habitudes seraient toutes endormies ? Cet état ne serait-il pas la mort" ? Enfin, du moment que la vie et la sensibilité subsistent, peut-on leur refuser une certaine puissance de réaction ?

L’oubli total au réveil ne prouve rien contre l’absence du rêve. C’est un simple indice de la ténuité des liens qui rattachent les deux états périphériques du sommeil et du réveil. Les somnambules aussi, les hystériques, les extatiques ne gardent généralement dans leur état normal aucune trace des actions ou des discours de leur état anormal. Cela prouve-t-il que ces actions n’aient pas été faites, que ces discours n’aient pas été tenus ? Peut-on en tirer d’autre conclusion que celle-ci, savoir : en rentrant dans leur état normal, ils revêtent — qu’on me pardonne la familiarité de l’expression — une autre peau qui n’a que de rares lambeaux de communs avec l’ancienne ? On a d’ailleurs des preuves directes de la conservation de ces traces.