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d. nolen. — la critique de kant et la religion

mais nous n’avons nullement le droit de présenter le postulat comme une vérité démontrable[1]. » Nul n’est donc autorisé à se dire capable d’un progrès indéfini dans la vertu, ni à réclamer la félicité au nom de sa vertu actuelle. Chacun n’a droit qu’à des satisfactions proportionnées à ses mérites, relatives et très incomplètes comme eux, et c’est pour cela que Kant, dans le passage de la Critique du jugement que nous citions en commençant cet examen, plaçait le souverain bien non dans l’harmonie de la vertu et de la félicité, mais simplement dans la corrélation du mérite et du succès. Or cette corrélation est une vérité d’expérience générale. « L’hypothèse que tous les maux dans le monde doivent être regardés en général comme les châtiments des fautes commises n’est pas une imagination des philosophes ou une invention des prêtres : elle est trop répandue pour être une conception si artificielle. Elle se présente naturellement à la raison humaine, qui se plaît à enchaîner le cours de la nature aux lois de la moralité, et qui aboutit volontiers à cette conclusion : Commençons par être meilleurs, avant de demander à être délivrés des maux de la vie, ou à les voir surabondamment compensés par la félicité d’une autre vie. » (Religion, etc.)

Personne n’a le droit de réclamer un sort plus heureux que celui que la vie lui a fait, au nom de sa prétendue vertu, car personne ne peut affirmer que ses mérites soient supérieurs à sa fortune. Demandera-t-on une autre vie pour que les méchants trouvent un châtiment proportionné à leurs crimes ? Mais n’y aurait-il pas lieu plutôt de souhaiter leur entier anéantissement, s’il est vrai, comme Kant l’admet, que l’autre vie ne pourra rien de plus pour changer leur cœur que la vie présente ?

D’ailleurs vouloir prouver que tous les maux de cette vie sont autant de châtiments infligés à nos fautes par la justice divine, c’est prétendre à une science qui dépasse nos forces. La pieuse résignation de Job sur son fumier est la seule attitude qui convienne à la faiblesse humaine.

Qu’on ne se flatte pas d’écarter toutes les objections qui viennent d’être dirigées contre la démonstration de l’immortalité, en disant qu’elles trahissent un manque de foi morale. Quel est le plus respectueux des ordres de la conscience, de celui qui soutient qu’il leur faut obéir sans condition, sans préoccupation de ce qui suivra, ou de celui qui ne leur est soumis qu’autant que l’avenir lui est garanti ?

Voyons si Kant démontre l’existence de Dieu avec plus de succès que l’immortalité. L’homme vertueux, selon la doctrine des postu-

  1. Kr. d. Urth.