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tout se fond dans l’ordre universel où les défauts même ont leur place et leur raison.

Quant aux autres objections, elles ne peuvent rien contre l’existence du principe : qu’importe qu’on ait abusé de la finalité ou qu’on l’ait mal comprise ? On trouve ridicule cette proposition : « La colombe a des ailes pour voler, » et on veut y substituer celle-ci : « La colombe vole parce qu’elle a des ailes. » En vérité, c’est encore la première qui est préférable, surtout si on la transforme ainsi : « La colombe a des ailes par suite d’une nécessité interne de sa nature, nécessité qui a été pensée et voulue par le créateur du type qu’elle réalise. »

M. H. Spencer trouve qu’il y a contradiction entre l’hypothèse d’une Providence et l’observation d’une nature où la lutte et la douleur sont la condition même de la vie. Mais pénétrons-nous le secret de la sensation chez les êtres inférieurs que la loi naturelle sacrifie aux supérieurs ? Et ne concevons-nous pas un ordre où tout serait disposé en vue de la production du plus et du mieux, par l’absorption du moindre et du pire ?

La théorie de l’inconscient éclaircit-elle donc tous les mystères ? On parle beaucoup de « l’immanence de Dieu >, dans les écoles modernes ; M. Mamiani accède volontiers à la formule, pourvu que l’homme et la nature ne soient jamais identifiés avec Dieu, comme le mode l’est avec la substance. Il faut conserver à l’idéal son essence supérieure et transcendante, sans quoi l’adoration devient absurde.

Un autre postulat de la religion, c’est l’efficacité de l’expiation et du repentir, qui supposent, comme on l’a dit déjà, la liberté et la responsabilité humaines. L’auteur insiste sur la question du libre arbitre, que les positivistes aujourd’hui déclarent insoluble. Il y a, selon lui, une preuve indiscutable de la liberté : c’est la conscience qu’on en a ; car la liberté est purement une chose de conscience, un rapport de l’être avec lui-même. Les arguments tirés de l’extérieur, ceux qu’on emprunte à une prétendue science sociale ou à la statistique, ne sauraient prévaloir contre cette évidence intime.

Toute religion suppose aussi l’efficacité de la prière, qui semble répugner aux principes de la philosophie : comment admettre en effet qu’un acte individuel, tout moral et intérieur, puisse troubler l’ordre universel ? M. Mamiani emprunte, pour répondre à cette formidable objection, un raisonnement à la théologie : Dieu est en dehors du temps ; il a donc prévu et exaucé d’avance les prières dignes d’être écoutées et en a tenu compte dans l’agencement de l’univers.

Le miracle est ainsi écarté. Mais je crains bien que l’argument ne satisfasse que ceux qui seront convaincus d’avance. Je préfère la haute et sereine conclusion qui suit l’exposition de ce subtil échappatoire, et où l’auteur proclame l’efficacité de la prière publique ou privée, en ce sens qu’elle élève l’âme et s’exauce pour ainsi dire elle-même quand c’est une faveur morale qu’elle demande à Dieu. Ce passage m’a rappelé quelques-unes des plus belles pages de M. Renan, où ce grand