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ANALYSES. — t. mamiani.La religione dell’avvenire.

théorie contenue dans ce vers de Stace, que M. Mamiani attribue à Lucrèce :

Primus in orbe deos fecit timor.

Cela a été vrai du sauvage, et ne l’est plus de l’homme civilisé. C’est par l’acte d’adoration que la religion se distingue de la superstition ; et cet acte est comme la perfection de la nature humaine, se dépassant elle-même sans s’annihiler, parce qu’elle va s’unir à une nature meilleure, qui lui est coessentielle et congénère, ainsi que l’ont compris Platon et Aristote, Plotin et Jamblique. L’adoration se distingue profondément de l’enthousiasme moral, mais elle implique celui-ci comme une condition et une conséquence. Voilà pourquoi la religion, en pratique comme en théorie, enveloppe la morale, qui ne saurait impunément s’en séparer. Elle est la vénération de quelque chose d’inconcevable et d’ineffable qui nous est révélé dans l’intuition la plus simple et la plus haute, où coïncident le réel et l’idéal, l’être Uni et l’être infini d’où il émane.

M. Mamiani insiste sur la manière dont la morale s’achève par la religion, en opposant l’éthique sociale et juridique à l’éthique religieuse. La première s’appuie sur le devoir strict dont le commandement est purement négatif. On objectera que l’honnêteté naturelle nous ordonne encore de faire aux autres ce que nous voudrions qui nous fût fait ; mais le sentiment moral, réduit à lui-même, va-t-il jusque-là ? M. Mamiani en doute : L’honnêteté naturelle n’engendre en tout cas que la vertu commune ; c’est à l’enthousiasme religieux qu’il est réservé d’inspirer les vertus héroïques. Une philosophie sublime y suffirait peut-être ; mais les philosophes ne sont pas seuls en jeu : comment fera le peuple ? Et 1 auteur conclut que la religion naturelle, comme il la comprend, est le meilleur remède aux crises sociales qui menacent aujourd’hui l’humanité, le paupérisme et le malthusianisme en particulier. N’est-ce pas à elle qu’on doit sinon la conception, au moins la diffusion des grandes idées qui tendent à dominer le monde, liberté, égalité, fraternité ?

IV. — Histoire et religion.

M. Mamiani est ainsi amené à examiner le rôle historique des religions et leur importance dans la genèse du développement humain. La théorie capitale de cette partie de l’ouvrage est celle que l’auteur appelle « la théorie de l’unité organique des nations ». L’histoire philosophique date de Vico ; mais Vico n’a pas observé ceci : qu’aucune nation ne franchit par elle-même tous les degrés de la civilisation soit intellectuelle soit morale. Toutes s’entr’aident dans ce travail, en sorte que la résultante est la collection de tous les effets épars, inconsciemment réunis par l’effet des rapports sociaux, politiques, économiques, littéraires et autres, qui les ont rapprochés. Cela est vrai surtout pour