Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
60
revue philosophique

intellectuelle ou de l’instruction proprement dite, se prête, dans une certaine mesure, à l’analyse : on peut du moins essayer de la rendre plus générale et plus constante en imprimant une direction d’ensemble à l’enseignement public : la plus efficace, celle qui consiste dans l’action personnelle du maître, se dérobe à toute formule, et nulle réglementation ne peut la créer, là où elle n’existe pas.

Cependant, ce qui importe dans cette sorte d’éducation morale qui est le propre de l’enseignement public, ce sont les tendances générales, c’est l’esprit dont elle procède. Et à cet égard, on le sait, un grave problème se pose, qui de nos jours surtout passionne l’opinion publique et préoccupe les hommes d’État. Ce problème, au fond, c’est la morale qui en est l’objet. La morale est-elle, doit-elle être surnaturelle ou naturelle, théologique ou philosophique, et, pour tout dire en un mot, ecclésiastique ou laïque ? Où trouver aujourd’hui des esprits fermes et modérés qui, comme les jansénistes et les gallicans du dix-septième siècle, s’efforcent de concilier ces deux tendances opposées ? De l’antagonisme des deux morales naît celui des deux systèmes d’éducation : les uns travaillent à élever les hommes pour l’Église, pour la société religieuse, la seule véritable à leurs yeux, à laquelle doit se subordonner la société civile qui en émane, et qu’une volonté providentielle destine à triompher dans cette vie et dans l’autre, dans le temps et dans l’éternité. Les autres voudraient travailler à élever les hommes pour l’État, disons mieux, pour la société civile et humaine, pour la patrie, pour l’humanité ; ils voudraient en faire avant tout des citoyens, des hommes ; mais, plus occupés jusqu’à ce jour du développement et de la culture de l’esprit que de l’éducation des sentiments et du caractère, encore incertains et timides, ils n’ont ni la même fermeté de vues, ni la même liberté d’allures que leurs adversaires. Il est certainement fâcheux que le problème se soit posé en ces termes : mais enfin, tel qu’il est, il faut le résoudre. M. Compayré, avec une rare impartialité, énumère tous les avantages que l’enseignement ecclésiastique peut offrir, et ces avantages se résument dans la puissante influence que l’idée religieuse exerce sur l’éducation morale. Mais il n’en dissimule pas les inconvénients et les dangers, surtout quand cet enseignement est entre les mains d’une congrégation envahissante et disciplinée, comme la Société de Jésus, si profondément différente de la modeste et libérale congrégation de l’Oratoire.

Il reproche à cette éducation si vantée des Jésuites de n’être ni assez générale, ni assez patriotique, ni assez désintéressée : elle tend à développer la servilité, l’hypocrisie, l’amabilité superficielle et la politesse banale. Faut-il y ajouter l’intolérance, presque toujours