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boirac.les problèmes de l’éducation

inséparable de la servilité ? — Aussi M. Compayré n’hésite pas à déclarer que l’esprit général de l’éducation doit être laïque, quelque part que l’idée religieuse y puisse légitimement revendiquer. Mais, si tels sont les périls d’une éducation, ne disons pas ecclésiastique, mais anti-laïque ou anti-sociale, l’État est-il autorisé à se défendre par des mesures préventives qui limitent la liberté de l’enseignement ? C’est là une question de morale ou de politique et non de pédagogie : M. Compayré n’avait pas à la discuter ; mais on lira sans doute avec intérêt le récit de l’événement ou, comme dit M. Compayré, de la révolution de 1762, c’est-à-dire de l’expulsion des Jésuites. On y verra quelle défiance inspirait aux parlementaires ou magistrats de ce temps une Compagnie qui, comme le disait déjà Richelieu dans son Testament, « ne peut, suivant les lois d’une bonne politique, être beaucoup autorisée dans un État auquel toute communauté puissante doit être redoutable. » (T. ii, p. 258.) On y verra aussi les efforts de La Chalotais et de Rolland pour organiser un enseignement séculier et national. Peut-être aussi n’apprendra-t-on pas sans quelque surprise que saint Thomas, le docteur de l’Église, est un des auteurs de la théorie de l’État enseignant[1], et que Fénelon partageait cette doctrine.

Les problèmes relatifs à l’éducation intellectuelle ou à l’enseignement proprement dit ont été l’objet de l’attention particulière des pédagogies ; aussi M. Compayré a-t-il pu dans sa conclusion dégager de leurs travaux un certain nombre de principes, d’une généralité suffisante pour dominer toutes les méthodes, sur la valeur desquels tous les théoriciens sont d’accord, et dont la pratique fait de jour en jour des applications plus étendues. Les efforts tentés pour réaliser pratiquement ces principes ont déjà profondément modifié, même en notre pays, l’esprit et les méthodes de l’enseignement primaire ; et les progrès passés répondent des progrès à venir. Faut-il le dire ? cette influence réformatrice des principes pédagogiques ne s’est pas encore fait sentir, à beaucoup près, dans l’enseignement secondaire. Peut-être serait-ce un véritable bienfait pour les enfants des bourgeois que de pouvoir jusqu’à dix ou douze ans s’asseoir dans ces écoles nouvelles que l’on construit de toutes parts pour les fils des ouvriers et des paysans. Au lieu de pâlir le plus souvent dans des cloîtres vieux de plusieurs siècles, entassés sur de longs bancs et courbés sur d’étroits pupitres, ils profiteraient, eux aussi,

  1. Ad eum qui rempublicam regit pertinet ordinare de nutritionibus et instructionibus juvenum, in quibus exerceri debeant, et quales disciplinas unusquisque addiscere et usque quo debeat. (Saint Thomas, Contra impugnantes religionem. Compayré, t. i, p. 336.)