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plus cette adaptation sera parfaite, plus l’évolution de la conduite sera complète, plus aussi elle sera morale, et cette conséquence de l’hypothèse de révolution s’accorde avec les idées généralement reçues, de quelque manière d’ailleurs qu’elles se soient formées.

Quel est en effet le sens des mots bon et mauvais dans un jugement moral ? Pour le savoir, il faut rechercher la signification de ces deux mots dans leurs différentes acceptions. Qu’entend-on par une bonne paire de bottes ? Que veut-on dire quand on parle d’une bonne journée, d’un bon chien, d’un bon coup au billard, etc. ? Une bonne paire de bottes est une paire débottés qui rendent exactement les services qu’on leur demande ; une bonne journée, une journée où nous avons fait ce que nous désirions ; un bon chien, un chien qui nous est utile comme nous le voulons ; un bon coup au billard, un coup résultant de mouvements parfaitement appropriés à certaines fins. Le sens du mot mauvais est par là même déterminé. Ces deux mots n’ont pas, lorsqu’on les applique à la conduite, une autre signification, et, si nous hésitons à le reconnaître, c’est parce que le même acte, dans certains cas et par suite de l’enchevêtrement des rapports sociaux, peut servir ou contrarier plusieurs fins à la fois. Mais, si l’on distingue ces rapports, on n’hésitera pas à reconnaître qu’un acte est bon, lorsqu’il sert à atteindre la fin qu’on se propose, quelle qu’elle soit d’ailleurs, c’est-à-dire quelle que soit à elle-même sa fin ultérieure, et mauvais dans le cas contraire.

La conduite, prise dans son ensemble, sera bonne, d’après cette définition, dans la mesure où elle tendra simultanément aux trois fins que l’homme peut se proposer : sa propre conservation, la conservation de la famille et celle des autres hommes, en un mot le plus haut développement de la vie.

Mais, si ce développement paraît être le but de l’évolution. l’évolution n’a-t-elle pas fait fausse route ? La vie vaut-elle la peine de vivre ? Est-elle bonne, comme le veulent les optimistes ? ou mauvaise, comme le prétendent les pessimistes ? Entre ces deux opinions contradictoires, il y a du moins un postulat également admis de part et d’autre : la vie est bonne ou elle est mauvaise, selon qu’elle apporte ou n’apporte pas un excès de sensations agréables. Suivant les pessimistes, elle cause plus de maux que de biens, et les optimistes croient le contraire ; mais les uns et les autres sont prêts à reconnaître qu’il faut travailler au salut de l’individu, de la famille et des autres hommes, si la vie est plutôt heureuse que malheureuse. La conduite sera donc bonne ou mauvaise si ses effets, en somme, sont agréables ou pénibles, et le bonheur seul, de l’aveu de tous, est le critérium de la valeur des actes.

De l’aveu de tous, si les hommes se divisent véritablement en optimistes et en pessimistes, et il semble bien qu’il devrait en être ainsi, il y en a cependant qui, restant fidèles, sans le savoir, à d’anciennes superstitions, s’imaginent encore que nous sommes au monde