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conscience sont vraiment morales, si nous ne regardons pas à leurs effets ? La conscience d’un Fijien lui commande de commettre des meurtres ; celle d’un Turcoman, de faire des pèlerinages au tombeau de voleurs célèbres, etc. Il faut donc en venir à considérer les effets funestes et du meurtre et du vol, pour décider que la conscience a raison de nous interdire des actes de cette sorte.

Il n’est pas jusqu’aux partisans attardés de cette morale diabolique à laquelle nous avons fait allusion et qui fait consister le bien dans la souffrance supportée pour offrir au Créateur que l’on imagine un spectacle agréable, qui ne doivent faire du bonheur le critérium du bien. Ils se figurent en effet que leurs maux actuels leur attireront plus tard de plus grands biens et leur feront éviter de plus grands maux, ou bien, s’ils prétendent que l’homme est né pour être malheureux à jamais, c’est encore le plaisir de leur dieu comme ils le conçoivent qu’il faut servir.

Ainsi un état de sensibilité désirable, telle est la fin dernière de toute action morale. Quelque nom qu’on lui donne, le plaisir est l’élément fondamental de la conception du bien : « il est une forme aussi nécessaire de l’intuition morale, que l’espace est une forme nécessaire de l’intuition intellectuelle. »

Si les diverses écoles morales ne se sont pas accordées sur ce point, c’est qu’elles n’ont pas eu le moins du monde ou n’ont eu qu’imparfaitement la notion de la causalité. Nos actes ont certains effets naturels ; ils conduisent naturellement les uns au bonheur, les autres au malheur. Admettre, comme l’école théologique, l’intervention de Dieu qui seul prescrit ou défend, c’est admettre que les hommes ne peuvent par eux-mêmes, par l’expérience, découvrir les conséquences naturelles de leurs actions, et par suite la conduite qu’ils doivent préférer : c’est nier ou plutôt ignorer la causalité. Soutenir, avec Hobbes, que les lois civiles font seules la distinction du bien et du mal, c’est commettre la même faute. Si la législation commande des actes qui ont naturellement des effets avantageux, si elle interdit des actes qui ont naturellement des effets nuisibles, ce n’est pas elle qui rend ces actes bons ou mauvais ; toute son autorité dérive des effets naturels de ces actions. Hobbes n’a donc pas reconnu la causalité. Les intuitionnistes la reconnaissent dans une certaine mesure ; mais à quoi bon faire appel à des inspirations surnaturelles de la conscience ? Les utilitaires eux-mêmes ne tiennent pas de la causalité, c’est-à-dire de ces relations nécessaires de cause à effet, le compte qu’il faudrait. Sans doute, ils sont d’avis que l’on doit apprécier la conduite par l’observation des résultats ; mais ils ne reconnaissent encore que certaine relation, fortuite pour ainsi dire, et non la relation de cause à effet dans toute la force scientifique du mot, et leur doctrine (celle de Stuart Mill, par exemple) n’est pas encore la science de la morale. Il faut donc faire subir à cette doctrine une transformation décisive ; il faut montrer, dans les conséquences naturelles de nos actes, des conséquences nécessaires et non pas seulement accidentelles. Mais, comme la morale relève de la