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analyses. — Herbert spencer. The Data of Ethics.

physique, de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, ce progrès n’était pas possible avant l’établissement de ces diverses sciences telles qu’elles sont aujourd’hui constituées.

Ces préliminaires posés, cette partie critique de son livre achevée, M. Spencer aborde l’étude des phénomènes moraux considérés comme phénomènes d’évolution, et successivement sous leurs divers aspects : physique, biologique, psychologique et sociologique.

Il semblera surprenant d’étudier au point de vue physique la conduite morale, et cependant la conduite de nos semblables n’est pas autre chose, de même que la nôtre pour eux, qu’un ensemble de changements perçus par le toucher, la vue et l’ouïe ; c’est assez pour être autorisé, sans paradoxe, à rechercher quels sont les caractères de ces changements, de ce dehors de la conduite, quand la conduite est morale. C’est une loi de l’évolution de tout agrégat, que non seulement la matière qui le compose, mais encore le mouvement de cette matière, passe d’une homogénéité indéfinie et incohérente à une hétérogénéité définie et cohérente. Les actes dans leur évolution obéissent à cette loi. En remontant dans la série des êtres, si nous considérons d’abord la cohérence, nous voyons les actes ou les mouvements des êtres animés devenir de plus en plus cohérents, se coordonner de mieux en mieux. Chez les sauvages, ce caractère se manifeste plus visiblement que chez les animaux, chez les hommes civilisés plus visiblement que chez les sauvages, et enfin, chez ceux dont la conduite est morale, il s’accuse plus nettement que chez tous les autres. De là l’expression de dissolue, appliquée à la conduite immorale, tandis que la manière d’agir la plus haute, la plus développée, présente aussi le plus d’unité. On peut prévoir à coup sûr les démarches de l’honnête homme et compter sur lui : les mouvements combinés qui composent sa conduite se font dans un sens parfaitement déterminé.

Les modes d’action les plus humbles sont indéfinis, comme ils sont incohérents, et nous avons ici le même progrès à observer, en passant de l’animal au sauvage, du sauvage à l’homme civilisé et, dans ce dernier genre, de l’homme immoral à l’homme moral. Celui-ci est exact dans toutes ses transactions, de quelque nature qu’elles soient. De plus, tandis que la conduite immorale est exposée à tous les excès, la modération est au contraire le caractère habituel de la conduite opposée. D’un côté, les oscillations sont grandes et échappent à tout calcul ; de l’autre côté, elles ne dépassent pas certaines limites : les mouvements sont définis.

Enfin l’hétérogénéité des mouvements et des actes s’accroît à mesure que les organismes se compliquent, et, si nous considérons l’homme seulement, c’est l’honnête homme dont la conduite est aussi la plus hétérogène et la vie la plus variée. C’est une erreur d’identifier la vie morale à une vie monotone. Plus nous nous conformerons à toutes les exigences de notre condition, relativement à nous-mêmes, au corps et à l’esprit, relativement à ceux qui dépendent de nous, à notre famille