Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
83
analyses. — Herbert spencer. The Data of Ethics.

ceux qui lui tiennent de près. Si nous comprenons bien qu’il faut considérer seulement, en toute occasion, les conséquences naturelles et nécessaires de nos actes, nous séparerons le motif moral d’autres motifs aujourd’hui surannés, nous nous habituerons à négliger les résultats extrinsèques de nos actions, pour tenir compte seulement des résultats intrinsèques.

Le sentiment de l’obligation ainsi entendue doit lui-même avec le temps s’effacer. Dans l’état actuel, il arrive qu’une faculté spéciale ne s’est pas encore assez développée pour que nous soyons portés à l’exercer par le plaisir seul de l’exercer en effet ; nous pouvons alors en regarder l’exercice comme obligatoire dans certains cas. Mais il doit arriver un moment dans l’évolution où toutes les facultés se développeront spontanément et seront, par ce développement même, une cause de plaisir. La conduite morale sera devenue la conduite naturelle.

Au point de vue sociologique, la science de là morale détermine quelles formes de conduite sont les plus propres à établir une société où la vie de tous soit à la fois la plus longue et la plus large, la plus complète possible. Les différents états par où l’humanité a passé ont rendu successivement nécessaires plusieurs codes de conduite : la guerre et la paix ne peuvent avoir les mêmes lois[1]. Le bien-être, la conservation des groupes sociaux, en lutte perpétuelle les uns contre les autres, ont dû à l’origine prendre le pas sur la conservation et le bien-être de l’individu. Les règles à suivre se sont alors ressenties de cette nécessité de subordonner les intérêts individuels aux intérêts généraux. À mesure que le danger pour les groupes diminue et que l’on se rapproche d’un état pacifique, ce qui a toujours été en réalité la fin dernière, à savoir la conservation de la vie individuelle, tend à devenir une fin prochaine. Dans ces périodes de transition, qui ne sont pas encore passées, il s’établit successivement divers compromis entre les deux codes de morale, dont l’un a pour objet la conservation sociale et l’autre la conservation de l’individu, et aucun de ces compromis n’a de valeur définitive, jusqu’au jour où, la paix étant pour toujours établie, la science de la morale pourra s’appliquer à la place des morales empiriques. Les traits principaux de cette science, grâce à laquelle la vie complète sera assurée, sont faciles à déterminer. Il faut évidemment et avant tout que les actions utiles à la conservation de la vie, telles que chacun doit les accomplir, procurent à chacun la somme et le genre d’avantages qu’elles ont naturellement à produire : pour cela, il faut que personne n’ait à subir ni agression directe, ni agression indirecte, comme celle qui résulte de la violation des contrats. Ce sont là les conditions négatives ; elles consistent dans une coopération volontaire propre à développer la vie autant qu’elle peut l’être par un échange de

  1. Voir la Science de la Morale de M. Renouvier, où cette remarque, faite à un autre point de vue, nous paraît aussi avoir une tout autre portée.