Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/555

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de l’organisme, peut au moins le faire sans considérer le milieu que réfléchit cet organisme ; elle peut étudier les relations internes sans se préoccuper des relations externes qu’imitent celles-ci ; il lui est loisible en définitive, de regarder l’homme comme un être vivant et pensant, et de l’étudier comme tel en l’isolant du milieu. Sans doute, sous cette forme, elle n’est ni complète ni définitive, comme l’a si bien montré Spencer ; mais enfin, elle existe déjà comme science. Au contraire, notre métaphysique, ayant pour objet essentiel le rapport représentatif de l’individu à l’univers, ne peut, par définition même, détacher l’esprit des choses qu’il reproduit. Si donc elle se confond avec la psychologie pure, dans nombre de ses démarches, c’est pour s’élever, par l’ensemble de ses développements et par la fin qu’elle poursuit, au-dessus de cette seconde science comme au-dessus de la première : elle regarde en deçà pour voir au delà. Bref, les recherches biologiques et psychologiques peuvent, quand elles sont conduites dans un certain esprit, s’attacher précisément au problème que nous appelons ici métaphysique ; mais elles peuvent ne pas le faire et ne le font pas d’ordinaire. La biologie et la psychologie ne répondent donc qu’accidentellement et sous certaines conditions à la définition de notre nouvel ordre de recherches : c’est assez pour nous autoriser à lui conférer l’existence verbale et à chercher un nom pour lui.

D’ailleurs, pour prouver que la métaphysique, telle que nous l’entendons, est bien un genre scientifique et que le mot a sa raison d’être, ne peut-on pas remarquer que ce mot s’appliquerait tout naturellement à certains travaux déjà réalisés et n’ayant pas de nom jusqu’à présent, ou n’étant désignés que sous le terme vague de philosophie ? Les ouvrages de Spencer, par exemple, ne sont-ils pas essentiellement des travaux de métaphysique en notre sens, c’est-à-dire des travaux où l’on cherche à découvrir, par la lecture de l’organisme, la manière dont l’Univers s’est traduit dans la Pensée ? N’y a-t-il pas là un but très précis, très scientifique, qui n’est pas suffisamment désigné, encore une fois, par l’expression flottante de philosophie, qui demande une appellation distincte, et qui la trouve précisément dans le terme que nous proposons ? Or, la circonstance qu’un mot, récemment formé ou rajeuni dans sa valeur, rencontre de suite son emploi, tend évidemment à démontrer qu’il n’est pas inutile. Ce n’est donc pas pour le vain plaisir de réhabiliter un vieux vocable que nous avons essayé de montrer dans quel sens on pourrait l’employer aujourd’hui ; si nous l’avons fait, c’est que nous croyons qu’il y a réellement une lacune à combler, et que ce mot nous a paru de nature à le faire assez heureusement.

Il nous semble donc, pour terminer, que l’antique expression créée par l’école d’Aristote pourrait réapparaître de nos jours sur le terrain de la science, et, en donnant son nom à une division de la connaissance encore anonyme, retrouver dans la nouveauté de son objet la vie et l’autorité qui lui ont échappé.

Paul Lesbazeilles.