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peler si j’avais tracé primitivement un angle aigu ou un angle obtus, ma main peut encore, dans certains cas et dans une certaine période, retracer exactement la ligne ou l’angle qui ont disparu de mon souvenir conscient. Puis, au bout d’un certain temps, ce souvenir inconscient disparaît aussi, et la ligne ou l’angle ne peuvent plus être retracés par la main qui va tout à fait à l’aventure.

On pourrait donc distinguer trois phases dans la disparition d’un souvenir musculaire :

Dans une première phase, le souvenir est conscient : phase du souvenir conscient ;

Dans une deuxième phase, le souvenir conscient n’existe plus ; cependant je puis encore reproduire le mouvement musculaire déjà exécuté : phase du souvenir inconscient ;

Dans une troisième phase, le souvenir conscient et le souvenir inconscient ont tous deux disparu : phase d’oubli total.

Ces expériences autoriseraient donc à distinguer une mémoire inconsciente, que j’appellerai encore organique, et une mémoire consciente ou psychique qui se superpose à la première, mais qui doit en être séparée. Cette dernière serait moins fidèle, moins persistante, moins tenace que la première. La mémoire organique a probablement son siège dans les régions inférieures de l’encéphale (moelle allongée), tandis que la mémoire psychique se localiserait dans les hémisphères cérébraux. Je n’emploie ces mots organique et psychique que parce qu’ils sont déjà en usage en physiologie et en psychologie, sans attacher du reste aucune importance à cette terminologie ; en effet, au fond, je considère la mémoire psychique comme dépendant aussi bien que l’autre des conditions organiques et du fonctionnement cérébral.

3o  Il y a dans la durée du souvenir des sensations musculaires des variations brusques d’un instant à l’autre. Ainsi dans une série d’expériences par exemple, à côté de résultats justes, on trouvera des écarts, soit en plus, soit en moins, écarts quelquefois très considérables sans qu’on puisse les rattacher à un ordre logique et à une loi. Ainsi ces variations se voient bien dans certaines séries d’expériences faites au moment de m’endormir et alors que je luttais contre le sommeil.

Tels sont les résultats généraux que j’ai pu tirer de mes expériences. Quoique ces expériences n’aient porté que sur une seule catégorie de sensations, et, dans cette catégorie, sur quelques-uns seulement des éléments de ces sensations, j’ai cru que les résultats obtenus déjà justifiaient cette communication et l’empêcheraient de paraître trop prématurée. J’y reviendrai plus tard en entrant dans les détails que j’ai dû pour cette fois laisser de côté.

Ces conclusions ne peuvent être évidemment que provisoires. Il faudra, pour qu’elles deviennent définitives, qu’elle soient vérifiées pour les autres catégories de sensations. C’est ce que j’espère pouvoir faire en continuant ces recherches et en les étendant. En outre, il faut aussi faire la part des conditions individuelles et en particulier de l’âge.