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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/45

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doute, de si tôt, nous pourrons constater en nous ces caractères que nous cherchons curieusement dans les âges reculés que nous pouvons à peine atteindre. Ce n’est que chez les gens et les peuples qui n’apprennent plus, qui ne se développent plus, que les instincts sont fixés, et que cet état de trouble qui annonce le développement de nouvelles tendances, cesse de se montrer. Chez ceux qui nous entourent, chez nous-mêmes, nous trouvons souvent l’état d’esprit qui est celui de l’homme primitif par rapport aux phénomènes qui sont à présent chez nous l’objet de science froide et raisonnée. Chaque fois que nous nous trouvons dans de nouvelles conditions dévie, chaque fois que nous abordons une étude nouvelle, nous pouvons constater en nous des idées qui présentent certainement, avec quelques différences, les mêmes caractères qu’ont présentés autrefois les premières idées formées sur les objets environnants dans l’esprit des premiers hommes, ou que présentent aujourd’hui les conceptions des enfants. Ceux d’entre nous qui abordent de temps en temps des idées, des connaissances qui ne leur étaient pas familières, qui n’ont pas pour leur vie une routine toute faite, sont des enfants et des primitifs par rapport aux hommes qui viendront dans plusieurs siècles et qui feront entre nous et leurs enfants les rapprochements que nous faisons aujourd’hui entre nos enfants et les sauvages. Il ne faut pas même tant de siècles pour produire cet effet ; la politique en fournirait de bonnes illustrations. Combien ne trouverions-nous pas enfantines, vagues, sans précision et sans portée les idées qui étaient en vogue il y a quelque vingt ans et exposées dans des assemblées législatives ? Et, pour remonter un peu plus haut, en lisant, dans les admirables chapitres de M. Taine, la combinaison de l’esprit classique et de l’esprit scientifique au xviii* siècle, n’avons-nous pas l’impression de quelque chose de primitif, de jeune, d’enfantin, de vague, dans les générahsalions de ce siècle si vieux à d’autres égards ?

Lors donc que nous étudions l’état primitif d’une tendance, nous pouvons prendre nos exemples aussi bien chez l’homme de nos jours et en nous-mêmes que chez les Aryas restitués par la philologie, ou chez les sauvages révélés par les voyageurs. Nous ne faisons pas d’ailleurs ici l’histoire de l’homme, mais la psychologie de l’abstraction ou de la généralisation ; ce qui nous importe, c’est donc de constater le caractère vague de la généralisation première. Nous pouvons passer maintenant aux autres caractères de la conception primitive, que cette conception primitive naisse chez un enfant, chez un sauvage ou chez l’un de nous. Tout ce que notre raison peut nous faire acquérir, c’est peut-être de la réserve. Nous pouvons