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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/496

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pensée s’y oppose. Toute pensée, même celle que H. Spencer appelle indéfinie, enveloppe un rapport, un rapport entre un sujet et un objet ; tout rapport suppose une comparaison de ses termes, et cette comparaison ne s’établirait pas, si le sujet et l’objet appartenaient à des mondes étrangers l’un à l’autre. Le sujet se trouve incontestablement dans la conscience : l’objet doit s’y trouver aussi. Tous les raisonnements ingénieux qu’on a proposés pour échapper à cette conclusion, sont vains. Ainsi, on peut bien croire à la vérité de la croyance métaphysique, qui a pour objet ce monde ultra-phénoménal, mais cette croyance n’est pas vraie. Il suffira donc de montrer comment le jugement affirmatif sur le monde ultra-phénoménal a pu se former, comment ce jugement est devenu constant, et comment ce qui dépasse la vérité est tenu couramment pour la vérité. Si les conclusions de notre précédente étude sont justifiées, la volonté libre est capable de ce résultat. Nous avons, en effet, essayé de prouver : — que, si le jugement dépend nécessairement de ses termes, en revanche ses termes peuvent dépendre de la volonté libre ; qu’ils doivent en dépendre dans la croyance constante, attendu que la liberté est seule capable de lutter contre les variations et les complexités de la vie intellectuelle ; et enfin que l’intervention de la liberté ne fait pas nécessairement disparaître la croyance à la vérité du jugement.

La croyance métaphysique est-elle donc nécessairement illégitime ? Ce n’est pas notre avis. À côté d’affirmations qui se justifient théoriquement, on peut retenir d’autres affirmations qui tirent toute leur valeur d’une considération pratique. La vérité logique n’est pas toute la vérité. Entre l’élément d’indétermination contenu dans la volonté, d’une part, et la réalité inconnue, d’autre part, il peut exister une correspondance rassurante pour la croyance. Mais c’est là une face nouvelle de la question, qui ne saurait être examinée convenablement au point de vue général où nous nous sommes placés ici ; nous la renvoyons à une prochaine étude.

J.-J. Gourd.