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REVUE POUR LES FRANÇAIS

Le bienfait du cantonalisme

Il est bien possible qu’à parcourir la Suisse avec une hâte superficielle, l’étrangeté de la mosaïque qui la compose n’apparaisse point. Il est certain, en tous les cas, que pour quiconque l’étudie de loin dans les livres et surtout dans ses textes de lois et sa marche politique, ce côté de la question perd toute valeur. L’affaiblissement graduel du fédéralisme et son évanouissement total dans un avenir plus ou moins éloigné ont constitué longtemps le dogme fondamental des radicaux suisses ; les victoires successives de leur parti semblaient leur donner raison. L’essence du fédéralisme, ce sont les différences d’institutions et de coutumes entre les États, provinces ou cantons qui composent la fédération ; si ces institutions vont se rapprochant les unes des autres, si ces coutumes deviennent de plus en plus similaires, l’État fédéral grandit et se fortifie au point d’absorber bientôt les diverses souverainetés dont il était formé. Or, n’est-ce pas là ce qui se passe en Suisse ?

Le raisonnement est impeccable ; il pèche pourtant contre la réalité. Laissez de côté les théories imprimées, descendez dans la pratique et efforcez-vous de surprendre l’existence de l’Helvétie contemporaine ; vous serez bien forcé de reconnaître que le cantonalisme vit toujours et que nulle évolution politique n’a réussi à l’affaiblir. Sa puissance tient du prodige, d’autant que ce n’est pas le langage ni même la religion qui le fortifient. Si les cantons composaient des groupements distincts répondant à la triple division ethnique du pays ou à sa double division confessionnelle, nul ne songerait à s’en étonner. Mais tel n’est pas le cas. Les gens de Vaud diffèrent moins de ceux de Zurich que de ceux de Genève et il y a plus d’affinités entre un Bernois et un Fribourgeois qu’entre un Bernois et un Bâlois. Comment se sont créées ces oppositions de caractères ? L’histoire, aidée de la géographie et de l’économie politique, arrive à l’expliquer. Comment elles se maintiennent, malgré les chemins de fer et le télégraphe, malgré les attributions croissantes du gouvernement fédéral et les efforts répétés des radicaux, voilà de quoi surprendre. Comment, surtout, elles atteignent au paroxysme dans les villes en sorte que la vie citadine, cette grande niveleuse, semble produire ici des résultats inverses de ceux qu’elle produit ailleurs, voilà qui paraît inexplicable. On