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cuté. Il y a là une erreur. En réalité, Élisabeth, Cromwell et Guillaume régnèrent plus ou moins au jour le jour, au milieu de périls sans nombre, d’inquiétudes sans cesse renaissantes, de difficultés le plus souvent impossibles à prévoir. Ils eurent à régler les rapports de trois royaumes qu’on ne pouvait séparer et qu’on n’arrivait point à unir et ceux de trois religions qui aspiraient toutes trois à la prépondérance politique. Ils rencontrèrent en travers de leur route les deux plus redoutables monarques de l’époque, Philippe II et Louis XIV : ils n’eurent pour appuyer leur pouvoir ni le droit incontesté de la couronne ni l’expression manifeste et durable de la volonté populaire. Leurs sujets firent preuve presque en tous points de tant de laisser aller et de manque de suite que, pour un temps, la « légèreté anglaise » devint proverbiale à l’étranger… Tout cela était peu fait pour autoriser les vastes desseins et les entreprises de longue haleine. Aussi chercherait-on en vain dans cette portion de l’histoire britannique la poursuite préméditée de ce qui a été réalisé depuis. Ni les actes des gouvernants, ni les paroles des conseillers, ni les réflexions des spectateurs ne révèlent un de ces courants dominants dont s’inspirent parfois les princes ou les peuples.

Toutefois il est exact que chacune de ces trois périodes envisagée séparément représente l’un des éléments constitutifs de l’Angleterre moderne. Élisabeth, c’est l’insularisme, mélange psychologique de confiance en soi et de méfiance à l’égard d’autrui qui jusqu’alors ne s’était guère manifesté au grand jour et qui va pénétrer la nation entière au point de devenir bientôt un trait caractéristique de l’âme anglaise. En Cromwell, les générations qui nous précédèrent ne voyaient qu’une sorte d’anomalie révolutionnaire, d’accident historique ; mieux placés pour le comprendre, l’État cromwellien nous apparaît comme un reflet anticipé de l’impérialisme contemporain. C’est enfin Guillaume qui inaugure le constitutionnalisme dont il est peu raisonnable de faire remonter l’origine à la charte de Jean-sans-Terre car, à peine d’être faussé dans ses rouages essentiels, ce système suppose la libre coopération du souverain, son adhésion réfléchie et volontaire : et jusqu’à Guillaume, on ne saurait dire qu’une telle adhésion ait réellement existé.

Marie Tudor ne régna que cinq ans mais son règne eut une importance singulière parce qu’elle partageait le trône avec son