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REVUE POUR LES FRANÇAIS

s’engage en mer et pique sur Macao. Nous sommes devant la ville après sept heures de traversée.

Bâtie en amphithéâtre, couronnée de vieilles forteresses, elle séduit au premier coup d’œil. Pareille à certaines petites villes côtières de Calabre ou de Sicile, elle étale coquettement ses constructions badigeonnées en jaune, en bleu, en rose, ses arcades habillées de verdure, et semble s’être aimablement parée pour faire contraste avec les agglomérations chinoises qui l’avoisinent. Également proche de Hongkong — bizarre mélange sino-européen — et de Canton — cité purement chinoise — elle évoque de façon saisissante la vieille Europe.

La rade est belle, et ses eaux sont profondes, accessibles aux plus gros navires, mais nullement abritée, exposée à toutes les tempêtes : aucun bâtiment n’y stationne. Au contraire, le port intérieur où nous devons accoster, est étroit, ensablé, impraticable aux grands vaisseaux : nous y croisons, à l’ancre, une petite canonnière portugaise, quelques vapeurs de faible tonnage, et d’innombrables jonques aux voiles palmées.

Aussitôt débarqués nous montons en pousse-pousse. Nos coureurs rapides nous entraînent à travers la vieille ville portugaise : nous sommes tout étonné d’y rencontrer quelques chinois, et plus surpris encore de nous y voir nous-même en un tel équipage. Voici la Travessa du Bon Jesus, bordée de constructions massives aux fenêtres grillagées, où les herbes folles ont poussé entre les pavés, que le bruit de notre passage semble éveiller d’un long sommeil, et triste, infiniment ; voici la Rua de San Paolo, montueuse et tortueuse, où nous rencontrons un groupe de religieux en robe brune, à l’allure fière, à la démarche lente et digne, et qu’on dirait soudain ressuscités du Moyen-Âge ; puis la Rua San Jose…, enfin la Praya grande, large promenade plantée d’arbres, face à la mer, où sont situées les riches habitations de la ville et le Macao Hôtel, notre logis.

La nuit venue, que faire à Macao ? Nos voisins de table d’hôte nous emmènent, un peu malgré nous, à la salle de billard, pièce enfumée où l’on joue la poule comme dans nos petits cafés de quartier en consommant sur le comptoir de zinc des citronnades et des cocktails. Banale image de la vie coloniale européenne au xxe siècle ! Combien ces gens sont peu intéressants à côté des moines de tantôt !…