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REVUE POUR LES FRANÇAIS

à-dire le bouleversement le plus radical que puisse subir l’Allemagne où rien n’a été prévu pour le fonctionnement d’un gouvernement impérial distinct du gouvernement prussien.

Il faudrait donc remanier la constitution mais, si le peuple est consulté, il se prononcera dans le sens d’une extension de ses droits et comment, d’autre part, opérer un semblable remaniement sans le consulter ? Cela ne se pourrait qu’un soir de victoire quand la race sera enivrée du parfum des nouveaux lauriers. Une telle victoire est à portée : c’est la prise de Nancy. À peine si la tactique française prévoit la défense de cette place ; on pourrait donc y faire une entrée triomphale en l’année 1906, centenaire d’Iéna.

Voilà la tentation contre laquelle l’empereur se débat. Le parti militaire sur lequel pèse l’ennui d’une longue inaction le pousse dans cette voie. L’y poussent également les coloniaux, attirés par la convoitise de quelque morceau d’Afrique ou d’Asie à annexer. L’y pousse encore le désir d’une de ces secousses, de ces rénovations morales dont l’Allemagne a peut-être besoin car bien des symptômes qui n’ont pu échapper au regard de Guillaume ii, accusent une morbidité naissante des mœurs et du caractère. L’y pousse surtout le sentiment très net du danger prochain auquel il s’agit d’échapper, la vision de l’Allemagne de demain dont le gouvernement sera disputé à la Prusse et la supériorité numérique au protestantisme.

Ce sont là de graves motifs. Par contre bien des aléas ont surgi qui commandent la prudence. L’éclipse de la Russie n’est pas si complète et l’amitié de l’Angleterre pour la France est plus solide qu’on ne s’y était attendu. Le mouvement de désorganisation militaire et navale auquel la République s’était laissée entraîner est déjà enrayé. La diplomatie française a su mettre tout le monde de son côté et l’opinon à Paris se montre calme mais énergique. Ce pourrait bien être une longue et rude guerre au cours de laquelle, si l’Allemagne réussissait à se maintenir en Lorraine ou même à avancer jusqu’à Reims, elle verrait sa flotte détruite, ses colonies ravagées, son commerce compromis. Il y a de quoi hésiter.

Les présentes Notes sont bien brèves, même pour esquisser un si vaste sujet. Elles auront néanmoins atteint leur but si le lecteur