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LES PRÉCURSEURS DE LA PUISSANCE ANGLAISE

époux, le terrible roi d’Espagne, Philippe ii — un Habsbourg, l’héritier de la plus belle moitié de l’empire de Charles-Quint. L’Angleterre d’alors ne paraissait pas s’inquiéter de cette menace pour son indépendance, pas plus d’ailleurs que des violences religieuses dont elle était l’objet. Survenant après le schisme d’Henri viii, après les extravagances protestantes d’Edouard vi, la contre-réforme de Marie secouait tout le monde, sans étonner personne. Tant de fois le pays avait souffert du manque d’héritiers royaux d’une légitimité incontestée que, si la reine avait eu un fils de son mariage avec Philippe, on se fut réjoui sans arrière-pensée et le loyalisme s’en fut trouvé grandement renforcé. Ce qui achève de caractériser cette royauté étrangère et ultra catholique, c’est son indépendance financière. Philippe disposait des immenses richesses de son patrimoine espagnol ; il pouvait à son gré se passer des subsides du Parlement de Londres et répandre sur la noblesse anglaise des prodigalités corruptrices. Sans aller jusqu’à dire avec Sir John Robert Seeley « qu’en 1558, l’Angleterre était déjà, à presque tous les points de vue, un royaume Habsbourg placé au même niveau que les Pays-Bas », on doit reconnaître que la nationalité anglaise se trouvait entamée. Le trépas inopiné de Marie Tudor fut un premier pas dans la voie des hasards favorables — premier mais insuffisant. Si Philippe en effet cessait d’être roi d’Angleterre, il pouvait souhaiter le redevenir soit en s’emparant du trône soit, plus simplement, en épousant Élisabeth qui succédait à Marie. Son intérêt le plus évident lui commandait d’agir ainsi. Charles-Quint, en attribuant l’Allemagne à Ferdinand, avait accentué le caractère maritime de la puissance espagnole dont dépendaient non seulement l’Amérique mais encore les Pays-Bas et — depuis le mariage de Philippe avec la reine Marie — l’Angleterre. Il ne restait plus qu’à dominer le Portugal pour avoir constitué à l’ouest de l’Europe un formidable empire susceptible d’enserrer et d’annihiler la France et de confisquer en même temps, à son profit, le commerce du monde entier. Philippe lâcha la proie pour l’ombre. Il demanda bien la main d’Élisabeth mais ni son refus ni les tendances anti-catholiques qui se manifestèrent aussitôt au sein du parlement, ne parurent l’affecter ; le continent l’attirait ; la pourpre impériale l’hypnotisait ; il se jeta au milieu de l’imbroglio germano-italien. Cinq mois ne s’étaient pas écoulés depuis la mort de Marie, qu’il signait le traité de Cateau-Cambrésis et épousait Isabelle de Valois.