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LES PRÉCURSEURS DE LA PUISSANCE ANGLAISE

étrange que le petit prince ne serait point le successeur catholique de sa mère mais l’héritier protestant d’Élisabeth ! Là encore se rencontrèrent des circonstances favorables et imprévues. Qu’on se montre indulgent ou sévère à l’égard de Marie Stuart, il est impossible de méconnaître l’action qu’exercèrent sur les événements les aventures romanesques et les dramatiques incidents de son règne. En bravant imprudemment la noblesse écossaise, elle se condamna elle-même à une prompte abdication et, dès lors, le terrain se trouva miraculeusement déblayé sous les pas de la reine d’Angleterre pour qui se battaient d’autre part les Huguenots de France et les « Gueux » des Pays-Bas. Non seulement les guerres de religion occupaient la France et l’affaiblissaient mais elles entretenaient sa jalousie à l’égard de l’Espagne. Une France paisible et forte n’eût peut-être pas redouté d’aider l’Espagne à faire triompher la cause catholique ; une France divisée s’inquiétait de voir grandir encore la puissance d’une impérieuse voisine. Aussi, l’année même où allait s’accomplir le forfait de la Saint-Barthélémy, Charles ix n’hésita pas à faire alliance avec Élisabeth ; ce fut l’objet du traité de Blois qui constitua une convention de garantie réciproque dirigée contre Philippe dont la victoire de Lépante venait de rehausser encore le prestige mondial. Don Juan d’Autriche qui avait remporté en son nom cette victoire fameuse, méditait une attaque contre l’Angleterre lorsque la mort l’enleva inopinément en 1578 ; pendant les années suivantes, la question portugaise immobilisa le roi d’Espagne et, quand il l’eût résolue à son profit, ce furent les affaires de France qui s’imposèrent à lui. Henri de Navarre était devenu l’héritier de la couronne et, parmi ses futurs sujets, beaucoup préféraient l’Espagnol à l’hérétique ; Philippe était donc candidat au trône de France ; son succès eût perdu l’Angleterre mais Henri de Navarre allait triompher et ce triomphe, même au prix d’une abjuration, consoliderait à jamais l’œuvre d’Élisabeth.

Que d’aléas en toute cette histoire ! Il est bien difficile d’y déterminer avec précision la part de mérite revenant à la souveraine. On exagère assurément en tenant que chacun de ses actes et chacune de ses abstentions furent raisonnés. En admettant qu’elle ait deviné la conjuration d’Amboise et les troubles d’Écosse, Élisabeth ne pouvait compter que la mort ferait disparaître, juste à point pour la servir, François ii de France, Don Juan d’Autriche, Don Sébastien de Portugal et d’autres encore. S’abstenir ré-