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toires importants ; Cromwell n’y songea pas malgré qu’il se préoccupât de ne point laisser chômer sa flotte où parfois se manifestaient des tendances royalistes. L’échec de l’expédition de Saint-Domingue l’irrita ; il en fit mettre les chefs en prison, comptant pour peu de chose apparemment le fait de s’être emparés de la Jamaïque au retour. Il songeait, semble-t-il, à cette Ligue protestante que l’on reproche à Élisabeth de n’avoir point su organiser ; pour y parvenir, non content d’avoir fait alliance avec la Suède, il entama des négociations avec les cantons helvétiques acquis à la réforme. Certes, le Protecteur était un protestant convaincu et, lorsqu’il se posait en champion armé, en archange du protestantisme, il était sincère. Cela n’allait pas cependant jusqu’à s’abstenir de faire la guerre aux Hollandais protestants ou de s’allier, plus tard, à la France catholique.

La vérité, c’est qu’en Cromwell il faut voir avant tout un chef militaire ; la guerre était un rouage essentiel de son système. C’est ce qu’exprime fort bien un mot de Blake aux officiers de marine placés sous ses ordres. Comme ces derniers s’inquiétaient de ce qui se passait à terre : « Nous n’avons pas, leur dit-il, à nous occuper des affaires d’État mais à empêcher les étrangers de se jouer de nous ». Vraie parole de soldat qui dut s’échapper des lèvres de plus d’un Français durant les campagnes de la révolution. Animée d’un esprit pareil, une armée de métier est redoutable. Turenne qui, en 1658, eut celle-là sous ses ordres par suite de l’alliance récemment conclue, en fut émerveillé. « J’ai vu les Anglais, écrivait-il à Mazarin ; ce sont les plus belles troupes qu’on puisse imaginer ».

Mais à quoi sert cet admirable instrument ? Voici que, la même année, Cromwell meurt. Il faudrait à son fils des talents exceptionnels pour hériter du pouvoir d’un parvenu. Prince royal d’un trône incontesté, Richard pourrait se maintenir à la hauteur de sa tâche ; fils du Protecteur, cette tâche l’écrase. En quelques mois, la Restauration est accomplie et l’édifice cromvellien s’effondre. Or, cent cinquante ans plus tard, Bonaparte sera pour la France un Cromwell qui réussit. Entre ces deux hommes, les contrastes sans doute sont presque aussi nombreux que les rapprochements mais l’esprit dans lequel ils conçoivent leur œuvre est identique. L’un et l’autre aiment l’ordre et la force et veulent réaliser l’ordre par la force. Ils prétendent organiser le bonheur et la vertu et se croient investis à cet effet d’une mission providentielle. Les