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REVUE POUR LES FRANÇAIS

réveillé la prolongèrent au-delà de tout motif jusqu’à ce qu’enfin un second Louis XIV parut qui menaçait lui aussi l’indépendance et la fortune de l’Angleterre et contre lequel celle-ci mena une véritable lutte pour la vie.

Tels furent donc les résultats de l’œuvre des « précurseurs ». D’abord ce que nous avons appelé les trois germes : l’esprit insulaire issu du long règne d’Élisabeth, de ses méfiances et de son orgueil, qu’elle a si bien enseignés à ses sujets — puis l’esprit cromwellien qui est, si l’on peut ainsi dire, une forme insulaire de l’esprit militaire — enfin l’esprit constitutionnel né des efforts honnêtes de Guillaume mais aussi des sages réflexions de l’esprit public ému de tant de changements, de tant de révolutions, de tant de hasards et désireux de s’attacher coûte que coûte à quelque chose de fixe et de solide.

Il y eut d’autres résultats encore. La nation anglaise finit par s’éprendre de la mer et du commerce. Elle y était destinée par la nature et, du jour où la découverte de l’Amérique transportait de la Méditerranée dans l’Atlantique le centre des échanges fructueux, ce destin devenait inéluctable. Malgré cela, un siècle s’écoula encore avant qu’elle prit conscience de sa vocation et sir Walter Raleigh put écrire à la fin du règne d’Élisabeth « Les Hollandais viennent trafiquer chez nous avec 500 ou 600 vaisseaux tous les ans et nous en envoyons à peine 30 ou 40 chez eux ; ils trafiquent avec toutes les places de France et nous avec cinq ou six seulement ». Aux Lombards et aux Hanséates qui s’étaient partagés avec les Hollandais le commerce européen, le Portugal, l’Espagne et la France s’étaient peu à peu substitués. Or le Portugal avait des intérêts continentaux, l’Espagne était liée à l’Italie et à l’Autriche, la France ne pouvait se désintéresser de l’Allemagne. Quelle différence entre leur situation et celle de l’Angleterre ayant un énorme développement de côtes, des ports naturels, des rivières aux larges embouchures, et… pas grand chose à faire chez elle ! En dehors même des traditions ancestrales des Vikings que l’on s’étonne de trouver si complètement oubliées, de tels avantages eussent dû fournir des moissons de navigateurs. Il n’en était rien. Des navires, ils ne sentaient pas le besoin d’en acquérir et c’est un spectacle étrange que celui du puissant roi Henri V obligé de s’adresser aux Hollandais et de leur emprunter une flotte pour transporter ses troupes en France. Le souverain capable des