Page:Revue pour les français, T1, 1906.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
REVUE POUR LES FRANÇAIS

de quelque odieux orphéon producteur de bruyantes cacophonies ; ils marchent en saccade aux sons des cuivres tempétueux et se groupent en face d’une tribune drapée de velours rouge avec de vieilles passementeries d’or fané. Pendant ce temps, entassés dans une salle poussiéreuse et malodorante, les seconds s’évertuent à exécuter un long programme de musique vocale compliquée et imparfaite. Qu’ils collaborent donc et que spectateurs et auditeurs aient à la fois la double jouissance de voir et d’entendre, de goûter l’harmonie des sons avec celle du mouvement. Nous sommes, en vérité, des êtres de routine. Supposez que, dans un de ces festivals parisiens où l’on acclame chaque année l’œuvre la plus enthousiasmante du grand Beethoven, cet incomparable final de la neuvième symphonie dans lequel la tempête des voix et celle des instruments s’unissent pour une ode triomphale à la force, à la joie, à la vie — supposez que l’on intercale au programme quelque magnifique assaut de boxe ou quelque rencontre magistrale au sabre ou à l’épée, les spectateurs indignés crieraient aussitôt au blasphème… Il faudrait pour calmer cette indignation leur démontrer leur ignorance ; car la rencontre de ces deux « numéros » constituerait en réalité une manifestation artistique d’un sublime caractère. Et, dans votre imagination, substituez au cadre misérable du Châtelet ou du Nouveau-Théâtre la cour du Petit Palais ou celle du Musée Galliera, quel ensemble ne serait-ce pas que cette architecture, cette musique et cette bataille réunies ? L’eurythmie grecque n’aurait jamais rien connu d’équivalent et les mânes de Périclès, de Phidias et d’Ictinos en tressailleraient d’émoi, au fond des Enfers… Mais il y a des sens qui se perdent comme il y a des lumières qui se voilent et des forces qui sommeillent. Le sens de ces beautés assemblées, nous ne l’avons plus. Il faudra, pour le rénover, de l’obstination et du temps.

Par quoi le remplacer, ce velours rouge à crépines qui sert de temps immémorial à primer les animaux gras, à inaugurer des statues, à passer des revues et à poser des premières pierres ? Il est entré dans les mœurs comme le symbole des pompes officielles, fastidieuses et mornes. A-t-il seulement l’avantage d’être bon marché ? Nullement ; il est coûteux. Son poids rend nécessaire l’établissement de charpentes solides au lieu du mince échafau-