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REVUE POUR LES FRANÇAIS

peut-il être un simple produit d’une évolution incalculable ? Beaucoup de savants acceptent cette doctrine. Ils admettent une période pendant laquelle l’animal humain n’a pu que grogner et japper, puis une seconde période allant de la pratique de la parole articulée à la découverte du feu. Le reste s’enchaîne sans difficulté. L’emploi de l’outil primitif marque le commencement de l’industrie, de même que l’idée d’orner le moins du monde cet outil en le travaillant marque le commencement de l’art. Il est compréhensible que l’éveil moral soit né de l’idée divine, elle-même inspirée par le spectacle des forces de la nature et surtout par l’éclair, manifestation dépassant toutes les autres en imprévu, en étrangeté et en puissance. Donc, une fois admis l’homme pensant et parlant, l’évolution humaine devient claire ; mais ce qui ne l’est pas, c’est la façon dont un simple animal du genre de ceux qui nous entourent serait devenu conscient et aurait réussi à traduire sa pensée par la parole articulée. Sans oser nous inscrire en faux contre cette manière de voir, les preuves manquant en somme pour l’infirmer, nous devons prendre en considération deux faits certains : c’est d’abord l’immobilité morale du règne animal. Nos connaissances historiques s’étendent aujourd’hui sur dix à douze mille ans en arrière et nous n’apercevons pas le plus léger symptôme d’une modification sur ce point ; le chien d’Ulysse possédait déjà le genre d’intelligence et la faculté d’attachement qui nous font aimer ses descendants ; les fourmis n’ont point amélioré leurs étonnantes communautés, le miel de l’hymette n’est pas surpassé, le talent d’architecte du castor est demeuré identique et l’habileté professionnelle du perroquet n’a pas fait un pas, non plus que l’art incontestable du rossignol. Nous citons à dessein des animaux que leur industrie, leurs groupements sociaux, leurs facultés émotives et même un curieux phénomène d’articulation irréfléchie désignent comme plus propres à se développer dans un sens parallèle au nôtre ; on a pu dire de certains d’entre eux qu’ils étaient « candidats à l’humanité » ; le mot est joli, mais ce sont là de singuliers candidats puisqu’ils ne font aucun progrès ! On objectera alors que dix mille ans représentent la valeur d’un instant par rapport au formidable amoncellement des âges disparus ; ce n’est pas exact car ces dix mille ans, en regard des somnolences antérieures, furent une période de culture cérébrale intensive pendant laquelle, si le progrès était réalisable, il paraîtrait impossible qu’on n’en aperçût pas la plus légère trace. D’ailleurs lors même