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REVUE POUR LES FRANÇAIS

choisi pour y installer un de leurs comptoirs s’étaient avisés d’une configuration si favorable. L’effort que dut accomplir la république romaine pour en déloger les Carthaginois fut, sans doute, très supérieur à celui qui nous rendit maîtres d’Alger ; mais une fois cet effort accompli elle posséda une base d’opérations sans pareille. Tandis que ses troupes, s’étendant en éventail à travers la Tunisie puis à travers notre province actuelle de Constantine, refoulaient les tribus berbères et maintenaient aux confins une sorte de paix armée, derrière cette vaste ligne de défense se créait un État dont rien n’allait plus troubler le repos ni menacer l’incroyable richesse. Ce fut l’Afrique proconsulaire appelée ainsi du nom du proconsul désigné par le Sénat romain pour la gouverner et par opposition aux royaumes indigènes protégés et aux territoires militaires qui l’environnaient. Ainsi il y eut, dès le principe, une partie de la conquête qui se trouva à l’abri des incursions et des coups de main, adossée à la mer et n’ayant qu’une frontière territoriale de faible développement. Comment en eût-il été de même avec Alger en place de Carthage comme base d’opérations ? Alger n’est qu’un point quelconque de la côte exposé à se trouver presque complètement enveloppé par l’ennemi. Ce fut le sort qui créa cette inégalité. Ni les Romains ni les Français n’avaient songé à entreprendre une conquête méthodique en terre africaine. Rome fut incitée à poursuivre la destruction de Carthage parce que cette ville puissante paralysait son essor, ruinait son commerce et menaçait sa sécurité. La France, en réduisant Alger, vengeait la grave insulte faite à son honneur et mettait fin aux intolérables exploits d’une piraterie dont elle n’avait pas été seule à souffrir. Carthage incendiée, Alger occupé, les mêmes hésitations et les mêmes répugnances se manifestèrent à Rome et à Paris relativement à un avenir d’extension africaine. M. Gaston Boissier a fait remarquer avec beaucoup d’à-propos combien les débats sénatoriaux du Capitole et ceux du parlement de Louis-Philippe présentent d’analogie à cet égard. Ici et là, il se trouvait des coloniaux avides de tout annexer et des anti-coloniaux soucieux de ne rien entreprendre. Le juste milieu triompha mais il fut impossible de s’y tenir dans aucun des deux cas. Les protectorats eux-mêmes s’écroulèrent. Faute de trouver des beys de bonne volonté pour régner en son nom à Constantine et à Oran la France dut se résigner à gouverner directement comme Rome s’y était trouvée amenée après des essais infructueux pour se constituer des monarchies tributaires.