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FRANÇAIS ET ROMAINS EN AFRIQUE

Si donc on tient compte : 1o  du fait que la comparaison s’établit entre deux œuvres d’une durée très inégale puisque, comme nous l’avons déjà dit en commençant, les Romains ont occupé l’Afrique pendant plusieurs siècles alors que les Français y sont arrivés en 1830 seulement ; 2o  des avantages considérables que les premiers eurent sur les seconds par suite des circonstances que nous venons de rappeler, il est impossible de ne pas reconnaître que, finalement, la conquête moderne a marché beaucoup plus vite que l’ancienne et que la France, à cet égard, l’emporte sur Rome. Quiconque circule en Algérie actuellement est frappé de l’ordre qui y règne et de la façon dont y fonctionnent des rouages gouvernementaux rendus très complexes par le fait qu’aucune pénétration Européenne ne peut s’exercer dans le bloc arabe et que, par conséquent, les deux sociétés vivent l’une près de l’autre, sans se mêler. Les statistiques indiquent tout ce que la France a fait pour développer les services publics, l’hygiène, la voierie, l’instruction, le commerce. La sécurité paraît complète, et nulle part on ne rencontre de ces entraves de police à la liberté individuelle qui existent fréquemment dans les colonies.

Sur trois points pourtant, les Romains paraissent surpasser les Français de telle façon qu’il n’y a pas seulement retard mais infériorité de principe entre eux. D’abord le prestige que revêt la puissance française aux yeux des indigènes est loin d’égaler celui qu’exerçait la puissance romaine. On serait tenté d’expliquer ce fait par le caractère peu prestigieux de la civilisation moderne comparée à l’ancienne. Les progrès innombrables dont elle se compose sont des progrès de détail qui, incontestablement, enlèvent de la majesté à l’ensemble et en rendent les grandes lignes moins nettes et plus confuses ; de plus ce sont des progrès d’ordre pratique, peu artistiques par conséquent et de silhouettes peu impressionnantes. Tout cela est exact sans doute mais les Romains employaient pour rehausser l’éclat de leur civilisation un procédé qui aurait pu être avantageusement renouvelé par les Français ; ils créaient des villes, soit de toutes pièces dans un lieu jusque-là solitaire, soit en agrandissant d’humbles bourgades dont les quelques masures disparaissaient promptement devant les constructions nouvelles. Moralement et matériellement, ces cités étaient de monumentales leçons de choses à l’adresse des indigènes les-