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REVUE POUR LES FRANÇAIS

a, comme toute grande nation, du prestige et du crédit. Quels que soient son isolement diplomatique actuel ou les dettes qui pèsent sur ses finances, elle demeure susceptible de nouer des alliances en Europe et d’y contracter des emprunts. En un mot, tous ses rouages politiques sont en état. La machine marche. Il s’agit, pour elle, non de créer par la conquête un pouvoir nouveau, mais de maintenir, de fortifier un pouvoir déjà existant et qui semble légitime. Car si le bon droit n’est pas de son côté, elle en a du moins les apparences. Cela lui permet de traiter les Américains en rebelles, non en belligérants et de passer ce Prohibitory act qui donne à ses généraux pour réprimer, châtier et confisquer, des facilités spéciales[1], nullement conformes aux principes du droit des gens. Craignant pour ses régiments irlanlais et anglais le contact des idées républicaines et les fatigues d’une campagne qui ne paraît guère les enthousiasmer, elle se procure des mercenaires allemands. Le landgrave de Hesse lui prête 12.000 hommes ; le prince de Waldeck, le duc de Brunswick, le margrave d’Anspach, le prince d’Anhalt-Zerbst, 5.000. Sans doute, cela coûte cher, car il faut payer non seulement les hommes, mais les princes auxquels on les loue, sans parler du droit de douane sur les bestiaux que le roi de Prusse exige quand les mercenaires traversent son territoire. Frédéric n’aime point cette manière de faire la guerre. Elle n’en est pas moins avantageuse car la petite armée du landgrave est fort bien équipée et entraînée et les Anglais conserveront ainsi leurs forces en réserve pour le cas où la lutte se prolongerait et où la fortune demeurerait indécise. En attendant, la mer, qui leur est domaine, va se couvrir de voiles. Ils bloqueront les côtes, saisiront les neutres, intercepteront les convois.

En face de l’Angleterre se dresse un pays en formation. Il n’a pas encore de nom ; on lui en cherche un. La souveraineté n’y est pas fixée. Elle ne peut l’être que si chacune des provinces qui le composent et qui vivent d’une vie propre abdique une portion de son indépendance et renonce à exercer certains de ses droits. On a vu dans l’histoire des peuples rompre les liens qui les attachaient à d’autres peuples ; on en a vu peut-être improviser des bataillons pour demeurer libres ; en a-t-on jamais

  1. Les prisonniers américains furent traités par leurs vainqueurs avec une barbarie sans égale. Il en mourut 11.000 de misère et de maladie.