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A. ESPINAS. — LA PHILOSOPHIE EN ÉCOSSE.

tels qu’ils leur apparaissent, de ramener la science à un état de confusion, condition de son renouvellement. On distinguait au xviie siècle les représentations des appétitions et des émotions ; comme dans la réalité ces faits sont simultanés, eux les décrivent en bloc et les désignent par des appellations très compréhensives où nous avons la plus grande peine à nous reconnaître. Tel est le mot sens employé par Hutcheson à l’imitation de Shaftesbury et qui comprend, d’après le fondateur de la philosophie écossaise, « tout ce qui détermine nos esprits a recevoir des idées indépendamment de notre volonté, et à percevoir du plaisir et de la peine. » Il eût dû joindre à cette définition pour exprimer complément sa propre pensée, ce que nous appelons penchants ou inclination. Bref, suivant le langage d’Hutcheson, tout ce qui est primitif, spontané dans l’âme humaine porte le nom de sens. Son but évident en constatant l’existence de tous ces sens est de mettre en lumière, par la méthode même de Locke, une vérité suivant lui méconnue par Locke, à savoir que l’activité spirituelle est pour une part considérable innée, et indépendante des objets sur lesquels elle s’exerce.

Il faut d’abord distinguer entre le sens externe et le sens interne. Le premier comprend ce qu’on connaît universellement sous le nom des cinq sens, plus les sensations de faim, de soif, de fatigue, de malaise. Mais les perceptions qui naissent dans l’esprit à l’occasion des mouvements du corps ne se présentent jamais seules et sont accompagnées d’autres perceptions (ou idées) qui relèvent du sens interne. Ces idées sont : 1o  celles de durée et de nombre ; ce ne sont point des idées sensibles, puisqu’elles accompagnent aussi les idées de conscience interne ou de réflexion ; 2o  celles d’extension, de figure, de mouvement et de repos. « Toutes ces idées naissent dans l’esprit antérieurement à toute comparaison, à tout rapprochement d’autres idées ; nous les distinguons facilement des plaisirs dérivés du rapprochement des sensations avec les idées concomitantes, plaisirs qui naissent quand nous trouvons entre elles de l’uniformité et de la ressemblance. Seules les idées primitives spontanées contiennent l’image de quelque chose d’extérieur. Voilà pour les données en quelque sorte spéculatives des sens ; mais ils nous fournissent en outre des motifs d’action, des impulsions pratiques. Au sens externe correspondent les plaisirs sensibles au sens interne : 1o  les perceptions agréables résultant des objets réguliers, harmonieux, uniformes comme aussi de la grandeur et de la nouveauté (plaisirs esthétiques ou d’imagination) ; 2o  les perceptions du sens social ou politique (public), par exemple ce qui nous pousse à nous réjouir