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que développer la majeure. Tout s’y ramène à cette idée : — Ce qui est rationnel est rationnel ; qui veut la fin veut les moyens, et, si la volonté est un moyen pour l’existence d’une chose rationnelle, la conformité de la volonté à cette fin sera elle-même rationnelle. — De plus, M. Renouvier abuse encore ici de l’ambiguïté des termes raison, raisonnable et devoir, auxquels il donne un sens nouveau et moral après en avoir donné des définitions toutes psychologiques et empiriques ; il n’a défini jusqu’à présent la raison que comme le pouvoir de mesurer différents biens, différents désirables, sans même distinguer clairement entre les biens pour nous et les biens pour les autres. Ce que la raison ainsi entendue juge « devoir être atteint en vertu de ses lois », c’est donc simplement le plus grand désirable, qu’elle ne sert qu’à déterminer, et il s’agit là, au fond, des lois de la sensibilité, non des lois d’une raison qui n’a par elle-même aucun objet. Il en résulte que le devoir ne peut plus être une idée nouvelle ajoutée par synthèse aux précédentes ; c’est simplement la conséquence avec soi-même, l’harmonie de la volonté avec l’intelligence, l’identité de l’action avec le jugement. Si, par exemple, je crois qu’il vaut mieux pour ma santé et pour mon plaisir faire une promenade que de rester chez moi, je suis en ce sens obligé à faire la promenade, sous peine d’inconséquence ; c’est une proposition analytique et de pure logique. Où est dans tout cela la moralité ?

Enfin, en admettant que l’idée du devoir soit vraiment indécomposable et ne ressemble pas aux prétendus corps simples des anciens, il faut alors en faire une catégorie ; cependant, comme l’a remarqué un des admirateurs de M. Renouvier, le devoir ne figure pas dans le tableau des catégories[1]. C’est peut-être que, pour M. Renouvier, le devoir est simplement un cas particulier de la finalité. Étant données des fins rationnelles, celles dont la réalisation dépend de notre volonté prennent le nom de devoir. — Mais, on ne saurait trop le redire, le devoir ainsi entendu n’est toujours que la conséquence logique qui fait que ce qui est bon à posséder est bon à vouloir quand la volonté est un moyen de le posséder.

Le devoir proprement dit ne serait un simple cas original de la finalité que si le devoir était lui-même présenté comme une fin, non un moyen, et comme une fin irréductible, supérieure aux fins relatives, ayant par conséquent des caractères spéciaux. Telle est l’hypothèse à laquelle M. Renouvier est logiquement amené et qu’il finit lui-même par laisser vaguement entrevoir. « Le jugement par lequel nous nous déclarons obligés réunit, » dit-il en termes d’ail-

  1. Voir les articles très substantiels et très approfondis de M. Beurier dans la Revue philosophique, année 1877.