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REVUE PHILOSOPHIQUE

du kantisme : — Quels sont tes rapports de la loi au bien ? Est-ce parce qu’une chose est bonne que nous devons la faire, comme le croyaient les anciens métaphysiciens ? ou est-ce parce que nous devons la faire qu’elle est bonne, comme le soutient Kant ? Le criticisme sera-t-il fidèle ici à la pensée du maître ? — On pourrait d’abord le croire en lisant les vifs reproches que M. Pillon adresse à M. Janet, qui, par crainte du formalisme kantien, avait soutenu dans sa Morale l’antériorité du bien sur la loi. « M. Paul Janet, dit M. Pillon, n’est pas heureux dans ses observations critiques sur la morale de Kant… Il ne voit dans cette doctrine originale et profonde de Kant, qui met à nu, pour la détruire, la racine même de l’utilitarisme, qu’une interversion inadmissible de l’ordre naturel et logique des idées morales. Il revient à cette vue superficielle des anciens moralistes, qui lui semble l’expression même du bon sens, que c’est le bien qui donne l’explication, la raison, le motif du devoir. Il faut l’entendre réfuter la thèse kantiste… M. Janet ne peut souffrir une loi morale qui commande sans donner de raison ; il soutient que c’est de l’arbitraire et refuse de s’y soumettre ; il croit qu’il faut un pourquoi au devoir ; il s’imagine, infortuné logicien, qu’il est possible de trouver, qu’il n’est pas contradictoire de chercher ce pourquoi. Cette illusion pourrait se comprendre en des esprits dénués de culture philosophique, comme le sont les positivistes français ; chez un professeur instruit, qui a lu et médité Kant, qui le discute et prétend le réfuter, elle marque un défaut bien surprenant de pénétration. M. Janet n’a rien compris au lien qui rattache la distinction criticiste des impératifs en morale à la distinction criticiste des jugements en logique générale ; nous le montrerons[1]. » Malgré cette promesse, M. Pillon n’est pas revenu sur cette question. Est-ce oubli ? ou bien l’ardent polémiste s’est-il aperçu qu’il entrait en lutte contre lui-même et contre M. Renouvier ? M. Pillon, en effet, avait ailleurs combattu en personne cette même doctrine de Kant qu’il ne pardonne pas à M. Janet de combattre. « Avec l’autonomie de la volonté, avait-il dit, tombe le paradoxe de Kant sur la notion du bien et du mal ; le concept du bien et du mal, dit Kant, n’est le fondement de la loi morale qu’en apparence ; il en procède au lieu de la déterminer… On ne saurait établir, dirons-nous, un rapport de succession et de filiation entre l’idée d’obligation et celle de fin en soi, entre l’idée de loi morale et celle de bien moral… Si, dans la position de la loi, tout concept, même rationnel, d’un objet de la volonté doit être exclu, à peine d’hétéronomie, la volonté autonome

  1. Critique philosophique, 1876, t. IV, p. 342.