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formalisme beaucoup plus radical que celui de Kant et qu’on pourrait même appeler, en imitant la terminologie allemande, un formalisme absolu. Malgré cela, vous repoussez vous-même le formalisme ; comment donc concilier toutes ces assertions, toutes ces réfutations, toutes ces thèses qui se suivent sans se ressembler ?

En résumé, la forme du devoir, telle que le criticisme la présente, avec ses caractères de synthèse à priori, d’universalité inconditionnelle et d’autonomie, nous semble inintelligible et même contradictoire. Passons donc au fond, car, en définitive, M. Renouvier ne veut point s’en tenir au formalisme, bien que le formalisme soit la conséquence logique de sa doctrine. M. Pillon, de son côté, nous dit que, si la volonté « ne se donne pas la loi à elle-même », si elle la « reçoit de la raison », c’est que celle-ci « lui propose ou plutôt lui impose un objet comme fin en soi » ; il en conclut ensuite que « la volonté reçoit sa loi de la fin en soi perçue et affirmée par la raison[1]. » Quelle est donc cette fin en soi ?


IV

CINQUIÈME FONDEMENT DE LA MORALE CRITICISTE : L’HUMANITÉ FIN EN SOI ET FOND DU DEVOIR.


Nous pourrions nous demander d’abord si le criticisme a le droit de parler d’une fin en soi, d’une fin inconditionnelle et vraiment finale, conséquemment absolue, d’un dernier terme qui serait par soi un but. Ce langage rappelle fort celui de l’ancienne métaphysique. Dans Kant, il avait encore un sens, car Kant admettait des fins en soi et, plus généralement, des choses en soi, qui n’avaient que le défaut d’être inconnaissables ; mais le criticisme, nous le savons, déclare ne s’appuyer sur rien de pareil. Il faut donc prendre cette expression de fin en soi pour une métaphore, pour un à peu près. Par malheur, la morale a besoin d’une précision parfaite. Mais supposons que la fin en soi, comme nous l’avons dit plus haut, soit simplement la fin pour nous, c’est-à-dire ce qu’il y a pour nous de plus désirable, de plus satisfaisant pour notre volonté. Dans cette hypothèse, la fin pour nous pourrait être identifiée avec nous-mêmes, parce qu’en somme elle est la pleine satisfaction de nos facultés, la pleine satisfaction de nous-mêmes. Fin en soi = fin pour l’homme = l’homme : ainsi pourrait être posé, en son sens le plus rationnel, le principe de l’humanité fin en soi. Et c’est effectivement à un principe de ce

  1. Ibid.