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E. NAVILLE. — CONSÉQUENCES DE LA PHYSIQUE

constantes » : voilà des exemples de ces principes formels dont on ne peut rien déduire, mais qui dirigent la pensée dans le choix des hypothèses. Descartes a confondu ces deux éléments distincts, et il est facile de s’assurer que la partie durable de son œuvre a été le résultat des principes directeurs, et que la plupart de ses erreurs ont eu pour origine l’emploi de la méthode à priori. La confusion faite par le principal fondateur de la physique moderne a été faite par ses adversaires. En répudiant les constructions à priori, on a répudié les principes directeurs de la pensée. Il en est résulté que des vérités aujourd’hui retrouvées ont été méconnues pour un temps, parce qu’elles ont été enveloppées injustement dans la juste proscription des erreurs de la physique cartésienne[1]. L’histoire de la physique moderne démontre que la science est née de la rupture avec la méthode à priori, de l’observation des faits acceptée comme base et comme contrôle des théories, et d’hypothèses conçues sous l’influence de principes déterminés qui, sans fournir directement la connaissance d’aucune loi, ont dirigé les recherches dans la voie où les lois véritables devaient être découvertes[2]. Ainsi est mise en bonne lumière la méthode scientifique qui intervient entre l’empirisme et le rationalisme. Elle garde de l’empirisme la pensée que l’observation des faits est la base et le contrôle de toute théorie sérieuse, mais en abandonnant l’idée que l’observation soit la source unique de la science. Elle garde du rationalisme l’appareil logique qui est la condition de toute connaissance et les principes directeurs de la pensée, mais en rejetant la prétention de la construction à priori. La voie par laquelle l’esprit humain peut atteindre la part de vérité qui lui est accessible se trouve clairement indiquée. L’histoire de la physique est la confirmation la plus solide qu’on puisse rencontrer de la vraie théorie de la méthode. Voyons maintenant les conséquences que l’on peut déduire des découvertes de cette science pour la solution d’un certain nombre de questions qui rentrent dans le programme de la philosophie. Je commencerai par la détermination de l’idée de la matière.

Nous ne possédons pas encore et peut-être ne posséderons-nous jamais une doctrine ferme sur la constitution de la matière. La théorie de l’atomisme, c’est-à-dire de l’existence en nombre déterminé des éléments premiers des corps, a une base expérimentale

  1. Voir un article sur les Origines de la physique moderne dans la Revue scientifique du 15 mai 1875.
  2. Consulter à ce sujet deux articles contenus dans la Revue philosophique, août et septembre 1877. Ces articles ont été reproduits dans le volume intitulé La logique de l’hypothèse. Paris, 1880.