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pas ; et, s’il n’est pas, il faut de deux choses l’une : ou que la grandeur ne soit jamais engendrée ou que l’infini se réalise.

À ces courtes réflexions, le lecteur jugera si j’ai pu avoir la moindre velléité de donner au point une forme définie. Non ! — Ni dodécaèdre rhomboïdal, ni cube, ni sphère, ni quoi que ce soit qui ait des dimensions et que l’on mesure ! — Son essence est de n’avoir point de parties ; οὗ μέρος οὐθὲν, disait déjà Euclide. Qu’on ne croie pas, à ma confusion, que je veuille rétrograder de deux mille ans ! Mais ce qui est sans parties, ajouté à ce qui est sans parties, peut former un composé où les parties seraient multiples, et, si l’on pose une intelligence qui en opère la synthèse, l’étendue aussitôt devient possible. Contre une genèse si rationnelle et si simple, il n’y a, en vérité, qu’un opiniâtre préjugé de sens commun.

Par suite du malentendu que je signale, mon contradicteur adresse souvent à un personnage qui n’est pas moi des objections où je retrouve, non sans un secret plaisir, ma propre pensée. « Même dans l’hypothèse de l’existence objective de l’espace, dit-il, le point mathématique ne participe nullement à cette existence. » Sans doute et nécessairement, car ce n’est que par sa répétition que le point engendre l’étendue, et, avant de se répéter, il faut bien qu’il soit. « Apollonius l’a bien dit, c’est un résidu qui ne subsiste que par la seule διάνοια. » Je ne prétends pas autre chose, et cette formule est toute ma thèse ; lorsqu’on passe à la limite, lorsqu’on affirme l’élément, l’imagination cède le pas à la raison pure, à cette διάνοια affranchie du sensible, qui veut qu’il n’y ait pas de composés sans composants, et que par suite, il y ait enfin des composants indivisibles.

Je ne puis m’attarder aux détails. En ce qui concerne le continu et le discontinu, par exemple, ma pensée, que je croyais suffisamment éclaircie par le contexte, est sans doute restée obscure. De fait, quand j’ai soutenu que la discontinuité était d’ordre rationnel, je n’ai eu en vue que la distinction des éléments ultimes, individuels bien que contigus, et l’on ne niera pas qu’une telle distinction échappe aux sens. Mais passons. Un problème bien autrement intéressant est celui que se posa il y a plus de vingt siècles Zénon d’Élée. Sur ce terrain, je me sens d’autant plus à l’aise qu’il ne s’agit plus cette fois de ma modeste personne, mais de celle du plus subtil (parlons-en mieux, car la subtilité que nulle objection n’entame est souvent grande profondeur,) du plus profond et du plus pénétrant dialecticien de l’antiquité.

L’argument est bien vieux, —je ne dirai pas usé,— car il a été si souvent réfuté qu’il a décidément quelque chance d’être irréfutable. Après Aristote, c’est Descartes, c’est Leibniz, c’est d’Alembert qui l’attaquent, et, après tant d’assauts répétés, il se produit ce phénomène étrange que des esprits aussi puissants que Hamilton et Grote, en Angleterre, M. Renouvier, en France, le trouvent encore debout et intact. Voilà ce qu’on s’explique mal si la censure d’Aristote est définitive ; mais comment le croire ? Pour détruire l’argument, ou, comme on dit, le sophisme, Aristote s’y reprend à deux fois dans la Physique, et le second essai de réfutation est un compromis, plus qu’un compromis, un acte véritable de complicité et d’adhésion. C’est que les premiers livres de la Physique, ne sont encore qu’une mathématique, tandis que le dernier est une métaphysique anticipée où le philosophe laisse pressentir son dernier mot. Je citerais si le texte était moins connu. « La solution que j’ai proposée autrefois, dit en substance Aristote, est insuffisante, %’il s’agit de la réalité véritable… Les infinis que le mouvement épuise,